Monday, October 6, 2008

les expériences de mort imminente--Esquisse comparative des enseignements religieux sur la vie posthume

Esquisse comparative des enseignements religieux sur la vie posthume et les expériences de mort imminente Points de vue de l’hindouisme, bouddhisme, judaïsme, christianisme, islam, et la foi baha'ie Jean Sévin Sommaire: A. Immortalité de l'âme B. Formes d'immortalité et destination des âmes après le Jugement C. Evolution de l'âme après la vie terrestre D Expériences de mort imminente (NDA - Near Death Experience) a) Survivance d'une entité non matérielle b) L'être de lumière c) Revue de sa vie d) La rencontre d'autres personnes, Conclusion La survie, sous un aspect ou un autre, à la dissolution finale du corps humain, est une croyance apparemment plus répandue que la croyance en Dieu ; elle est même partagée par certains athées, comme Mac TAGGART. Là où les avis diffèrent, même au sein des grandes religions, c'est sur le type d'existence de cette continuation de la vie, le ou les lieux de déroulement, le moment où cette survie commence ainsi que sa durée. Ainsi, chrétiens, juifs et musulmans – les druses exceptés – croient, contrairement aux hindous et aux bouddhistes, à une seule vie terrestre, d'où son importance capitale du fait qu'elle décidera du sort futur du défunt. On trouve des traces de cette croyance en une survie quelconque depuis les temps les plus reculés d'après les découvertes de divers vestiges à l'intérieur des tombeaux, tels armes ou outils déposés près du corps et il y a plus de quatre mille ans les égyptiens croyaient au jugement du dieu Osiris et ils semblerait qu'il existait déjà un code de lois morales dont l'application permettait l'obtention d'une autre vie d'éternelle béatitude en présence de leur divin souverain. Mais, égyptiens et sumériens pis à part, les croyances anciennes n'avaient cure de la notion de "salut" et ne s'occupaient aucunement de moralité. Aussi bien allons nous passer brièvement en revue les enseignements des grandes religions en ce qui concerne l'âme et les différentes formes d'immortalité, le "jugement" des âmes après la mort et leur destination, et enfin le mode d'évolution de ces âmes. En confirmation de l'approche scientifique, nous dirons un mot des conclusions de médecins et scientifiques sur les milliers de cas constatés et répertoriés de ces "expériences de mort imminente". Et ceci nous permettra peut-être une heureuse conclusion. 

I. Immortalité de l'âme

HINDOUISME: Quelques 7 à 800 millions d'hindous croient à une longue suite d'existences terrestres qui n'impliquent pas forcément l'immortalité de l'âme mais une absorption en l'Absolu primordial. Leur croyance s'est modifiée au cours du temps mais elle est restée basée sur la loi du "karma" qu'on peut définir comme la loi de justice automatique. Selon la ou plutôt nos vies successives sur terre, nous renaissons meilleurs ou pires et revenons sans cesse, soit sur terre, soit pour certains dans divers cieux ou enfers temporaires. Ce qu'on appelle théologiquement "le salut" consiste seulement pour les hindous à échapper au cycle vicieux des ces perpétuelles renaissances. Telle est, résumée, la croyance générale qu'on trouve dans les "Upanishads", Ecrits sacrés ou plus exactement commentaires philosophiques des "Vedas" (connaissance sacrée) et postérieurs à ces derniers de trois à quatre cent années, les Vedas remontant à plus de mille ans avant J.-C. En fait cette doctrine de la réincarnation pourrait avoir été créée de toutes pièces bien après les premiers hymnes sacrés des Vedas, car on trouve dans certains d'entre eux des références à une seule vie terrestre qui serait suivie d'une existence immortelle pour l'âme humaine, sur un plan non matériel d'existence. Comment comprendre autrement cette citation : "L'âme se sépare du corps mortel pour se vêtir d'un corps nouveau et plus beau. L'homme sage sera immortel. La mort, c'est déposer l'habit de chair et revêtir l'habit d'immortalité. L'homme qui est juste et bon vivra toujours." (cité par O.P. GHAI dans son ouvrage "Unité dans la diversité".

BOUDDHISME: Un peu plus de 300 millions de bouddhistes ont une croyance similaire à celle des hindous à une différence importante : ils ne croient pas à la métempsycose (retour dans un règne inférieur au règne humain, animal ou végétal). Ils semblent également rejeter la notion hindoue de "l'Atman" qui est l'âme humaine ou plus exactement cette substance impérissable qui renaît constamment. Pour eux, la personnalité est constituée de cinq éléments appelés les "Skandhas" qui sont le corps physique, les sentiments, les sens, la volonté et la conscience. Il existe deux grandes écoles principales du Bouddhisme : le "petit véhicule" et "le grand véhicule". Alors que le premier est athée et forme un bloc homogène, le grand véhicule est sensé être polythéiste sous son aspect populaire, et métaphysique sous son aspect philosophique. (Royston PIKE, Dictionnaire des religions). Ce dernier, ajoute-t-il, a été considérablement transformé et a donné naissance à une multitude de sectes et d'écoles. La notion de "karma" n'en subsiste pas moins, ce qui rapproche cette croyance de l'Hindouisme mais avec des nuances et certaines réformes. Les Ecrits attribués au Bouddha sont sujets à contestation et parfois contradictoires au sens littéral. Nous en citerons trois qui militent manifestement pour une immortalité de l'âme : "Vigilant est le sentier de l'immortalité. Inattentif celui de la mort. Les vigilants ne meurent jamais. Ceux qui ne le sont pas sont déjà comme des morts." Dans l'Anathapindika-Jethavana (Bouddhisme Catena), on lit : "L'esprit prend possession de tout, non seulement sur terre mais aussi dans les cieux et l'immortalité est le trésor le plus sûr." Et au 6ème chapitre, verset 31 du "Mahavagga", on lit : "La doctrine de la conquête du Moi, ô Siha, n'est pas enseignée pour détruire les âmes des hommes, mais pour les préserver." *

 JUDAISME: Dans la foi juive, l'eschatologie personnelle n'est pas systématique du fait que cette religion s'intéresse surtout à un Messianisme national qui apportera un règne de paix et de justice au temps de la fin pour ce peuple qui se considère comme le peuple élu par Dieu. Aussi ne trouve-t-on pas mention évidente d'une âme immortelle survivant à la mort pas plus que ce qu'il en subsistera en attendant la résurrection des corps. On trouve toutefois dans le second Livre d'Enoch (58:5-6) la vision des âmes humaines qui vivent avec les anges déchus dans les cieux provisoires en attendant le Jour du Jugement, et on est surpris d'y lire que même les âmes des animaux seront préservées jusqu'à ce Jour, ce qui peut inciter au même respect de la vie animale enseignée par le Bouddhisme : celui dû à toute forme de vie. Le Judaïsme réformé aux Etats-Unis a rejeté la résurrection des corps et insiste sur l'immortalité de l'âme. Mais c'est une minorité. Dans le Deutéronome IV:4, on peut y lire : "Et vous, qui vous êtes attachés à l'Eternel, votre Dieu, vous êtes aujourd'hui tous vivants." Le mot "cimetière" n'existe pas en hébreu, on le traduit par un vocable signifiant "la maison des vivants", ce qui laisse également supposer une immortalité quelconque.

* CHRISTIANISME: Comme le Judaïsme, le Nouveau Testament ne traite pas directement du sujet et cette foi, la plus répandue sur terre, est centrée sur la résurrection du Christ rédempteur et la résurrection des corps au temps de la fin. L'évangile de Saint-Jean et plusieurs épîtres de Saint-Paul semblent insister toutefois sur l'existence d'âmes célestes immortelles et la résurrection devrait être interprétée dans son sens spirituel de nouvelle vie de l'âme, de "nouvelle naissance" acquise par la reconnaissance de Celui qu'on appelle "le Fils de l'Homme". Au chapitre 3, verset 36 de St-Jean, on lit "Celui qui croit dans le Fils a la vie éternelle ; et qui ne croit pas dans le Fils, n'aura pas la vie …"De même aux versets 25 et 26 du 11ème chapitre de St-Jean, on lit : "Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais." Il est clair que les paroles du Christ et ses saints enseignements sont spirituels comme il l'affirme Lui-même de cette façon : "C'est l'esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. (Jean VI:63-64). De toute façon le milliard et demi de chrétiens de par le monde sont convaincus de l'immortalité de l'âme, c'est sur cette forme d'immortalité que les opinions divergent.

ISLAM: Contrairement au Nouveau Testament, la révélation du Prophète Muhammad attache une grande importance à l'après vie terrestre. Le terme arabe "al-akhira" qui signifie littéralement "après ici-bas" apparaît 113 fois dans le Coran, le Livre sacré musulman. Mais on verra plus tard combien cette vie posthume est matérialiste pour près d'un milliard de croyants de cette foi. A l'instar des chrétiens, ils attendent tous le grand Jour du Jugement au jour qu'ils appellent "l'Heure" de la résurrection des corps (Ma'ad en arabe). C'est du reste, au dire de presque tous les théologiens, le thème central de la foi islamique.

FOI BAHA'IE: La plus récente des grandes religions et pourtant la plus répandue géographiquement après le Christianisme, la foi baha'ie donne des preuves logiques de l'immortalité de l'âme. C'est ainsi qu'Abdu'l-Baha, successeur et interprète de son Père, Baha'u'llah qui fonda cette foi mondiale, explique : "Aucun signe ne peut résulter d'une chose non existante, c'est-à-dire qu'il est impossible que, d'une chose qui n'existe pas, le moindre signe apparaisse ; car le signe est la conséquence d'une chose, et la conséquence dépend de l'existence du principe. Ainsi, d'un soleil non existant il ne peut briller de lumière, d'une mer non existante nulle vague ne peut naître, et un arbre non existant ne donne pas de fruits… Considérez que chaque être, par le seul fait de la destruction de ses membres, de la décomposition de ses éléments, perd complètement tout effet, toute influence, tout signe, que ce soit un minéral, un végétal ou un animal. Il n'y a que la réalité humaine, l'esprit de l'homme qui, après la désagrégation de ses membres, la dispersion de ses molécules et la destruction de sa composition, continue à donner des signes, à agir et à avoir du pouvoir." Cet argument est subtil en ce sens qu'il faut accepter que toutes ces perfections, attributs ou signes particuliers à l'être humain et qui le différencient de l'animal sont les signes visibles d'un principe invisible et immortel appelé âme ou esprit qui subsiste éternellement. C'est explicable scientifiquement, si l'on considère le microscome. Ainsi le corps, expliquent les chimistes, est un composé d'éléments divers simples, sujet à la désagrégation, donc à la mort. Mais la mort ne détruit que des corps composés, en dispersant leurs atomes. Il en est ainsi du corps humain qui change continuellement pendant sa vie ; son poids, sa vigueur varient, il peut perdre un membre et, à la fin, il meurt. La philosophie naturaliste a établi que ces éléments simples - les atomes – sont immortels et nous savons qu'ils continuent à parcourir le cycle des autres règnes, mais ne sont pas détruits. Si ces éléments naturels sont eux-mêmes immortels, comment l'âme, principe supérieur qu'aucun accident physique n'atteint entièrement, pourrait-elle périr ? Abdu'l-Baha conclue ces preuves en disant : "Il est donc clair et établi que l'esprit est autre que le corps et que sa durée est indépendante de celle du corps. Au contraire l'esprit, avec la plus grande gloire, règne sur le corps ; et ses effets, son influence, comme les bienfaits du soleil dans un miroir, sont manifestes et visibles. Mais lorsque le miroir est sale ou se brise, il est privé de la lumière du soleil !" 

II. Formes d'immortalité et destination des âmes après le Jugement
HINDOUISME: L'Hindouisme ne semble concerné que par ce qu'on appelle l'eschatologie personnelle qui traite du destin immédiat des âmes justes et injustes après la mort. Or nous avons dit un mot de ce principe de base du "karma" auquel se rattache la doctrine de "Samsara" ou "transmigration". A l'instar des bouddhistes, les hindous pensent qu'il est nécessaire pour évoluer de traverser un nombre variable, mais généralement très important, de renaissances. Chose curieuse, ces renaissances multiples pourraient exister sur différents plans et règnes pour les Hindous car on parle d'un certain nombre de ciels et d'enfers temporaires. Quant aux divers règnes, les bouddhistes ne croient pas à la métempsycose, c'est-à-dire dans le retour de l'âme sous une forme inférieure, animale ou végétale. Le ciel hindou est très imagé dans les Rig-Veda, il appartient aux âmes qui ont eu une vie vertueuse, ont contribué aux offrandes aux prêtres, suivi la sainte loi et sont morts dans la bataille. Ils vivent dans la lumière perpétuelle d'un autre monde, passent leur temps à boire du "soma", jus de fruits exotiques et aphrodisiaques, du lait et du miel aux sons mélodieux des flûtes. Des fées à forme de vaches satisfont tous leurs désirs et ils se complaisent dans la compagnie d'ancêtres et de divers dieux hindous, y compris YAMA l'ancêtre commun de l'humanité qui, devenu Roi, juge tous les morts. Ces derniers vivent du reste dans un corps différent de celui qu'ils avaient lors de leurs vies terrestres. Les Vedas ne mentionnent qu'un seul enfer, profond, obscur, un puits sans fond où les dieux INDRA et SOMA tourmentent, avec des démons, sorciers et conspirateurs, les damnés. Plus tard, les Ecrits hindous inventeront de nombreux enfers, pas moins de vingt et un, plus abominables les uns que les autres, avec force chacals, faucons, hiboux, tigres et scorpions qui grouillent dans un "jardin de supplices" fait d'immondices aux infectes odeurs de pourriture ; tout ceci comme simple avant-goût des souffrances qui les attendent dans leur métempsycose tant attendue que méritée. ! La croyance populaire, ce que les occidentaux appellent "le salut" est pour les hindous et les bouddhistes, d'échapper au cycle vicieux des perpétuelles renaissances et d'atteindre un état de détachement connu sous le nom de "Nirvana". Le passage suivant, extrait de la "Bhagavad-Gita" ou "Chant du Seigneur" et grand classique hindou, peut néanmoins être interprété comme l'acquisition d'une paix éternelle pour l'âme qui retourne à Dieu, ne faisant qu'un avec le Suprême : Celui qui possède la joie et le bonheur internes a trouvé la lumière intérieure ;un tel être (le Yogi) a atteint le Nirvana de Brahman, il ne fait qu'un avec le Suprême et a atteint le Suprême". Pour ceux qui ont atteint le Nirvana de Brahman, leurs péchés ne sont plus ; leurs doutes sont dissipés : leur âme est en paix, leur plaisir consiste dans le bien-être de tous. "Ceux qui ont atteint le Nirvana de Brahman sont libres de toute colère et de tout désir, ils possèdent le contrôle d'eux-mêmes, ils connaissent leur âme propre." 

* BOUDDHISME: Peu de différence sur l'après vie terrestre par rapport à l'Hindouisme. L'imagerie de la roue de l'impermanence bouddhiste traditionnelle nous donne une idée de sa philosophie. Cette roue est tenue par la bouche de MARA, le démon de la mort ou "impermanence". Sur le cercle extérieur figurent les douze conditions préalables qui sont la cause des renaissances. Plus à l'intérieur figurent six royaumes de renaissance, à savoir : l'enfer, le règne animal, le règne humain, le ciel, le règne de titan et celui des esprits affamés. Enfin tout au centre figure l'illusion et le détachement de tout désir. Pour atteindre éventuellement le nirvana, le chercheur doit suivre la route des huit conditions qui sont la vision juste, l'intention droite, le discours juste, l'action juste, la vie juste, l'effort juste, l'attention juste et la concentration juste. Après avoir surmonté l'ignorance, la sensualité et le désir ardent de renaissance, ces trois intoxications, le yogi atteint six perfections constituées par la sagesse, la moralité, la charité, l'indulgence, l'effort et la méditation. Ce n'est qu'alors qu'il a une chance d'atteindre ce fameux nirvana qui, selon certaines définitions, est le contraire du néant, une bénédiction totale. Parmi les nombreux paradis bouddhistes, il y a celui d'Indra, à la végétation luxuriante et aux six saisons par an. C'est un lieu où fleurissent les lotus rouges et bleus, où croît l'arbre corallien aux murmures harmonieux d'oiseaux enchanteurs. De luxurieuses servantes compenseront l'austérité terrestre des hôtes de ce paradis temporaire. L'enfer est très proche de celui des Hindous ; dans le canon Pali on y voit toutes sortes de tourments épouvantables où les corps sont consumés par du fer et du cuivre à l'état de fusion, alors que des lames de rasoir les découpent en fines rondelles. Comme pour le ciel, il existe de multiples enfers provisoires destinés à purifier l'âme du pécheur avant de retourner sur terre. Pourtant d'autres passages peuvent être compris d'une façon plus spirituelle, tel celui-ci : Celui qui agit mal souffre en ce monde, il souffre dans le prochain ; l'homme qui fait le mal souffre dans les deux mondes ; il souffre et se lamente, lorsqu'il voit le mal qu'il a fait."

* ZOROASTRISME: Cette foi monothéiste qui naquit en Perse vers l'an 1000 avant Jésus-Christ a une eschatologie nouvelle pour son époque : elle parle – et sans doute pour la première fois – d'un jugement universel pour la fin des temps, mais aussi du jugement individuel à la mort. C'est la religion des bonnes pensées, des bonnes paroles et des bonnes actions qui mènent au ciel, alors que les mauvaises pensées, paroles et actions conduisent le pécheur au purgatoire ou en enfer. On croit aussi à la résurrection des corps. Dans les "Gathas", hymnes attribués à son fondateur, le Prophète Zoroastre, on possède un récit coloré du destin de l'âme immédiatement après la mort. Le défunt doit emprunter le pont "Chinvat", ou pont du comptable ou du Juge qu'est Zoraostre, pont qu'il pourra traverser ou non selon la vie qu'il aura mené sur terre. S'il a bien vécu, il verra Dieu dans toute sa majestueuse grandeur ; s'il a mal vécu, il sera tourmenté par le froid et l'obscurité intense du purgatoire ou de l'enfer. Cette foi étant basée sur un Dieu de lumière (Ahura Mazda), le feu est considéré comme sacré, les rites parsis se déroulent dans des temples du feu et l'enfer du feu ne saurait exister. L'enfer zoroastrien est un état provisoire de réhabilitation dans l'attente du jugement final à la fin des temps où Shah Bahram, le Sauveur, viendra juger définitivement le monde. 

* JUDAISME: Il existe également dans la foi juive un "Jour du jugement". On lit dans Enoch II:39/1 que tous les hommes seront jugés lors du "Jour du jugement", "le grand Jour du Seigneur" (18:6), "le grand Jugement" (58:5 & 65:6) ou enfin "le jugement éternel" (7:1). Mais dans l'attente de ce Jour promis, les âmes des défunts vont au jardin d'Eden ou dans la Géhenne. A l'origine, aucune mention d'un jugement personnel n'existe dans la Bible hébraïque, on n'y parlait que d'un endroit lugubre et obscur appelé Shéol où les âmes étaient sensées dormir jusqu'à la résurrection. Ce n'est que peu à peu, sous l'influence peut-être des Ecrits de Zoroastre qu'est apparue la notion de ciel et d'enfer comme lieu de rétribution des actions terrestres ? Cette existence latente dans le Sheol est marquée par l'inactivité et la stagnation : "…il n'est plus d'oeuvre, ni de pensée, ni de science, ni de sagesse dans le séjour des morts où tu vas", lit-on dans l'Ecclésiaste IX:10. Job indique même que c'est un lieu de non retour (VII:9 et XIV:12). Salomon en parle comme d'un endroit d'oubli (Psaume 88:12), de silence (94:17) et Daniel en fait probablement allusion dans le douzième chapitre où il dit que "le livre sera scellé jusqu'au temps de la fin" en parlant de "ceux qui dorment dans la poussière".(versets 4 et 2). Ce Sheol juif est divisé en trois compartiments, le premier pour les justes, le second pour les pécheurs qui n'ont pas été punis sur terre et le dernier pour ceux qui ont été punis sur terre. Seuls les habitants du dernier compartiment resteront éternellement en ce lieu alors que les autres en sortiront pour le grand Jour du Jugement. Le patriarche Enoch parle de sept ciels. Le jardin Gan Eden serait l'endroit où vécurent Adam et Eve avant leur chute. Certains auteurs ont situé ce "paradis terrestre" en Irak près de l'Euphrate.

* CHRISTIANISME: Le Nouveau testament ne donne pas de détails sur le destin de l'âme après la mort. Ce sont surtout les Pères de l'Eglise qui, au fil des temps, ont élaboré diverses théories sur les lieux d'attente des âmes en attendant le Jour de la Résurrection, croyance qui fait presque l'unanimité des chrétiens d'Orient comme d'Occident. Au jour du Jugement dernier, les livres seront ouverts et chacun sera jugé selon ses oeuvres. Voir l'Apocalypse de Jean XX:12 et divers passages de Paul (I Corinthiens VI:9-10 ; aux Galates VI:7 ; II Corinthiens V:10 et Romains XIV:12) ainsi que Mathieu XVI:27. Mathieu, au chapitre XXV, verset 46, donne en effet le critère du Jugement, à savoir que les justes auront la vie éternelle au Royaume de Dieu tandis que les méchants subiront un châtiment éternel. Entre le ciel pour les justes et l'enfer pour les méchants, se trouve un purgatoire qui, suggéré par Saint Augustin, a été accepté comme dogme au sixième siècle par Grégoire-le-Grand. Son objet est la purification des pécheurs par des prières et des messes pour les défunts ainsi que l'achat "d'indulgences" – en vertu du surcroît des mérites acquis par le Christ – qui abrègent le temps de purification. Mais quelques cent cinquante millions de chrétiens orthodoxes ne croient pas au purgatoire de l'Eglise catholique. Et c'est en partie à cause du "commerce scandaleux" de ces "indulgences" que naquit la Réforme protestante. Le ciel chrétien est nettement plus spirituel que celui des religions orientales, même s'il y a des nuances selon les auteurs. Par exemple, selon Thomas d'Aquin, on y trouve d'abord les martyrs, puis les saints, vierges et célibataires, et derrière ces derniers les théologiens. Les premiers ont en effet vaincu le monde, les vierges la chair et les docteurs le diable ! Le ciel le plus poétique est décrit par le grand visionnaire DANTE dans son "Paradiso" baigné de lumière et de chants d'amour. On y trouve "la rose éternelle, éployée en gradins et exhalant un parfum de louange au Soleil qui engendre un perpétuel printemps". Là, règne l'amour divin, "l'Amor che muove il sole e l'altre stelle", l'amour qui meut le soleil et les étoiles. Par contre, dans son "Inferno", DANTE est conduit par Virgile à la porte de la cité des pleurs et "dans l'air sans astres s'élevait un murmure de plaintes, de soupirs et de profonds gémissements". Divers lieux y sont mentionnés, jusqu'à celui où gît Judas le traître, la tête en bas dans une des trois bouches géantes de Lucifer, avec ses pieds qui gesticulent en l'air. L'enfer chrétien, peut-être inspiré de la géhenne des Juifs, est un lieu de "pleurs et de grincements de dents" où se rendront pour l'éternité les abominables, les meurtriers, les proxénètes, idolâtres et menteurs. Un seul des sept péchés capitaux commis sur terre peut justifier de cet enfer perpétuel. En réalité, si on considère plusieurs passages du Nouveau Testament, on peut en conclure que, de même qu'il s'agit d'une résurrection spirituelle comme on l'a vu, il s'agit aussi, pour le ciel et l'enfer, d'états spirituels plutôt que de lieux physiques comme l'enseigne du reste maintenant l'Eglise chrétienne. Ainsi, dans St-Jean XVIII:36, on lit que le royaume de Dieu n'est pas de "ce monde". Pierre et Paul le confirment en indiquant que nos corps physiques (la chair et le sang) ne peuvent pas hériter du royaume de Dieu. Et Jésus explique clairement la différence entre le monde matériel et spirituel en affirmant qu'aucun homme ne peut monter au ciel si ce n'est celui qui en est descendu, même le Fils de l'homme qui est au ciel (Jean III:13), passage qui fait dire à certains exégètes que la résurrection du Christ ne peut être que spirituelle, puisque le corps du Christ venait de Marie, mais son esprit du royaume céleste. 


* ISLAM: Un parallèle intéressant est donné par Farnaz Ma'sumian, dont nous tirons l'essentiel de cette esquisse. (Life after death, Editions Oneworld, Oxford) entre l'enseignement de Zoroastre et celui du Prophète d'Arabie sur la vie après la mort. Ainsi, dans les textes de l'Avesta et dans la littérature Pahlavi, l'âme du défunt reste 3 jours et 3 nuits près du corps dans l'attente du jugement individuel. Pour les musulmans, l'âme, après la mort, reste en "Barzakh", un état de répit dans la tombe pour y être interrogée par deux anges de la mort. Ensuite, dans ces deux religions, il existe deux jugements, l'individuel et l'universel. Les premiers, après cette période de répit, doivent traverser le pont Chinvat tandis que les seconds empruntent le pont appelé Sirat, tous deux aussi fins qu'une épée. Les juges sont Zoroastre ou des juges désignés dans le premier cas, et Allah dans le second. Il y a toutefois une différence importante entre les deux doctrines : c'est que ciel et enfer sont des lieux provisoires pour les Zoroastriens, dans l'attente de la réhabilitation finale, tandis que l'enfer des musulmans est permanent pour les idolâtres et les infidèles. Le paradis musulman ressemble par contre à celui des hindous : il comporte sept ciels de béatitude céleste, tous plus luxurieux les uns que les autres. Les élus y boivent un salsabil de premier choix, allongés sur des couches moelleuses en compagnie de superbes filles aux yeux noirs et aux seins d'albâtre. Au nombre impressionnant d'esclaves, de vierges et de célestes Houris qui sont mis à leur disposition, on suppose qu'il s'agirait plutôt du paradis éternel qui sera le lot des croyants après le jugement dernier universel. On trouve pourtant certains passages dans le Coran ainsi que dans des traditions dignes de foi où ce paradis serait non pas matériel mais spirituel, ainsi ce passage de la 75ème sourate, versets 22 et 23 : "Ce jour-là, il y aura des visages qui brilleront d'un vif éclat et qui tourneront leurs regards vers leur Seigneur". L'enfer d'Alla, par contre, diffère de celui des chrétiens par le fait qu'il est éternel pour deux groupes de pécheurs, à savoir les idolâtres (mushrik) et les infidèles (kafir). L'Islam est farouchement monothéiste et considère même les chrétiens comme des polythéistes à cause de leur "Trinité". L'enfer des impies est terrible, il possède aussi 7 compartiments plus horribles les uns que les autres. Les corps des damnés ont leur taille agrandie pour offrir plus de prise aux diverses tortures : le feu y est d'ailleurs soixante-dix fois plus chaud que la terre, les corps enchaînés sont rôtis à souhait, les visages sont couverts de poix et de soufre, épines et chardons ne peuvent apaiser la faim, pas plus que les fontaines d'eau bouillante ne peuvent désaltérer ces misérables. Sans parler des serpents et scorpions qui s'attaquent à eux pour faire diversion. Voir, pour plus amples détails, les références coraniques suivantes :VII:178 ; XLVI:33 ; L:29 ; LXXII:15 ; LXVIII:21-33 et LXXXIX:24. 


* FOI BAHA'IE: Baha'u'llah, le Prophète fondateur de la foi baha'ie, donne de nombreux détails sur la vie de l'âme après la mort. Etant donné que les enveloppes physiques et charnelles n'existent plus, l'état de l'âme après la mort est un état spirituel et les descriptions matérielles des récompenses et châtiments des âmes dans les autres croyances sont, pour les baha'is, des images et analogies pour frapper l'imagination des peuples dont la maturité n'avait pas atteint son plein développement. Ainsi, nous lisons ceci : "Il est clair et évident qu'après leur mort physique, tous les hommes prendront conscience de la valeur de leurs actes et comprendront pleinement ce que leurs mains auront forgé …Au moment où ils quitteront cette vie, les fidèles du seul vrai Dieu éprouveront une joie et une allégresse impossibles à décrire, tandis que ceux qui auront vécu dans l'erreur seront remplis d'une consternation sans égale et saisis de crainte et de tremblements dont on ne peut se faire une idée… Les âmes des infidèles – et cela, je l'atteste – au moment de rendre à Dieu leur dernier souffle, prendront conscience de toutes les bonnes choses qu'elles auront négligé d'acquérir. Elles se lamenteront sur leur sort et s'humilieront devant Dieu, et elles continueront à le faire après qu'elle auront quitté leur corps." Enfer et ciel sont donc un état d'éloignement ou de proximité de Dieu pour tous, selon la vie terrestre qu'ils auront menée, sans considération de sexe, d'ethnie, de nationalité, de classe sociale ni même d'étiquette religieuse ! L'âme garde son individualité, se souvient de sa vie terrestre et des proches et amis avec qui elle entretient des relations télépathiques spirituelles et découvre tous les mystères qui lui étaient cachés ici-bas. A l'instar de la révélation de Jésus qui expliquait qu'il y avait plusieurs demeures dans la Maison de Son Père, les baha'is apprennent qu'il y aura aussi des différences de station dans les mondes divins, selon les mérites de chacun et l'incapacité de saisir adéquatement la station des âmes qui occupent un niveau supérieur au leur. L'immortalité de l'âme est rattachée à son évolution car de même que la vie végétale est pour ainsi dire inexistante par rapport à la vie animale ou humaine, la vie des êtres inférieurs est inexistante par rapport à celle des saints. Abdu'l-Baha, le fils et interprète des enseignements de Baha'u'llah, explique ceci : "Sache que l'immortalité est réservée aux âmes dans lesquelles a été insufflé l'esprit de vie qui émane de Dieu. Toutes les autres qui sont dénuées de vie sont les morts comme l'a expliqué le Christ dans le texte évangélique. Celui dont le Seigneur a ouvert les yeux verra les âmes des hommes dans les rangs qu'elles occuperont après leur séparation des corps. Il trouvera les âmes vivantes prospérant à l'intérieur du royaume de leur Seigneur et les âmes mortes enfouies dans les plus profonds abîmes de la perdition." 

III. Evolution de l'âme après la vie terrestre 

* HINDOUISME: Nous avons vu que le but ultime de la croyance hindoue est d'échapper au cercle vicieux du cycle des renaissances. Le seul moyen est de réaliser l'unité essentielle de toute existence. Ceci s'acquiert par la lecture des Vedas et par la méditation, le jeûne, la foi, le sacrifice, l'ascétisme et le célibat. On devient alors un "Muni" (sage silencieux) et on obtient "Moksha" ou libération de tout désir du monde, de la crainte, de l'ignorance, du mal et de la souffrance. Chaque chose apparaît alors comme l'âme qui brûle tout mal. Libéré du mal, de l'impureté, du doute, on devient alors un "Brahman" (extrait d'Upanishads). Le Brahman apprécie une vie de paix et de tranquillité tandis qu'il est encore sur terre, et à son départ de ce monde, il obtient la libération (moksha) et son âme (atman) est alors complètement immergée dans l'âme suprême, comme le sel qui ne se sépare jamais de l'océan. Il existe 6 écoles classiques de l'Hindouisme qu'on peut rattacher à 3 catégories distinctes : - union de l'âme avec le Brahman (par la méditation et le yoga) - universalité de Brahman où l'âme se fond : philosophie très panthéiste. - Le Brahman, dieu personnel et créateur. Ces écoles correspondent aux trois chemins suivants : le chemin de la connaissance (Jnana-marga), celui de l'action désintéressée (Karma-marga) et le chemin de la dévotion (Bhakti-marga). Krishna, dans la Bhagavad-Gita, enseigne qu'un obstacle à l'évolution est l'attachement qu'on porte aux récompenses de nos actions. Cette idée se retrouve également dans la Foi baha'ie et le détachement des choses terrestres en général est un précepte commun à toutes les religions du salut. "C'est pourquoi, sans attachement, fais constamment l'oeuvre qui doit être faite ; car en accomplissant l'oeuvre sans attachement, en vérité l'homme atteint le bien suprême". (Gita, chant III: 19). La troisième école, celle du chemin de la dévotion, est la plus mystique ; c'est l'union de l'âme par le détachement du monde et l'adoration de Krishna, le dieu créateur suprême. (Gita, chant IX:22 à 34). On a même comparé cette philosophie au Christianisme. La cosmologie hindoue est assez complexe et porte à de nombreuses spéculations dont l'étude déborderait le cadre de cette esquisse. Ainsi la théologie des "kalpas" ou "ères cosmiques" est postérieure à l'époque védique, chacun de ces kalpas étant conçu comme embrassant la durée d'un monde, de la création à la dissolution, et équivalant à une journée de la vie du Brahman. Il contient à son tour 1000 "grands âges" se subdivisant chacun d'eux en quatre "âges" ou yugas, les bons succédant aux mauvais (guerres, fléaux) depuis 3 millénaires avant J.C. jusqu'à l'heure actuelle. Chaque dissolution d'un cycle ou expiration de Brahman sera suivi de l'éclosion d'un nouvel oeuf cosmique, un nouvel inspir de la vie de Brahman. Pour conclure sur ce chapitre de l'Hindouisme, retenons qu'en près de 40 siècles d'existence, cette religion s'est transformée à un tel point qu'il est difficile de remonter aux sources de l'enseignement du fondateur. Sri Aurobindo, dans son commentaire des verset 7 à 10 du quatrième chant de la Bhagavad-Gita, explique le rôle primordial des "Avatar" – manifestations de la nature divine, tels que Jésus ou Bouddha – qui est d'élever la conscience humaine vers une conscience divine afin d'atteindre "une nouvelle naissance" dans le divin. 


* LE BOUDDHISME: On a comparé la mort du Bouddha, serein et détaché, à celle de Socrate, décrite dans le Phédon. Sa doctrine est extrêmement simple, c'est celle des quatre vérités, à savoir : tout est douleur en ce monde, tout malheur découle d'un éternel vouloir-vivre, la nécessité donc de s'en détacher et enfin la noble voie des 8 vertus citées au précédent chapitre. Le credo bouddhiste est la simplicité même : "Je mets ma confiance en Bouddha. Je mets ma confiance en la Loi. Je mets ma confiance en la Communauté. Le Bouddhisme est surtout apparu comme une Réforme de l'Hindouisme dont il a souligné l'incompatibilité entre l'atman-brahman et le samsâra. Le monisme originel brahmanique ne pouvant expliquer la pluralité des existences, Henri AVRON, dans son étude sur le Bouddhisme, affirme : "étant donné que notre salut dépend de la causalité du karma, il est oiseux, voire nuisible, de se livrer à des spéculations métaphysiques. "Ce sont les expériences faites par nos sens qui nous révèlent le karma", explique-t-il ; une fois cette connaissance empirique acquise, il sera facile à notre esprit de trouver la voie pratique de la délivrance. Bouddha rejette l'âme universelle et ignore l'âme individuelle. Cependant les fils de lâkya, i.e. les bouddhistes, pensent que la révolution du monde (dans le sens de l'univers, du cosmos), n'a pas de commencement. 

* ZOROASTRISME: L'avenir de l'âme, chez les défunts parsis, commence le quatrième jour après la mort puisque l'âme reste près du corps durant trois jours et trois nuits. Si, sur la "balance", les bonnes actions pèsent plus lourd que les mauvaises, l'âme traverse facilement le pont Chinvat et se rend au paradis jusqu'au jugement universel. Là, elle peut contempler la majesté divine dans un lieu de béatitude et de lumière permanente. Une jeune adolescente de quinze ans, attirante de fraîcheur et de beauté, l'accueillera et lui présentera des fruits frais, des fruits secs, sous des arbres aux doux parfums. "C'est comme s'il soufflait un vent du Sud, oui, de ces contrées du Sud, et l'odeur en est suave, plus suave que celle des autres brises". (rapporté par le R.P. MASANI dans son ouvrage élogieux sur "le Zoroastrisme, religion de la vie "bonne"). Mais si le fléau de la balance des actions terrestres penche du côté des mauvaises paroles, pensées et actions, le mort ne peut pas traverser le pont qui l'amène au jardin des délices et il sombre dans l'enfer où souffle un vent glacial d'odeur nauséabonde, le redouté vent du Nord (Hadhokht, Nask 25). Les démons sont les compagnons de ces damnés provisoires en attendant la réhabilitation finale promise. Si la balance ne penche ni d'un côté ni de l'autre, l'âme se rend dans une sorte de purgatoire appelé "Hamestagan" pour y attendre également le Jugement dernier. La religion de Zoroastre est finalement optimiste, car elle croit en un monde meilleur et juste sur terre après que le règne du mal aura succombé, c'est-à-dire lorsque, après une période de 3000 ans, le Sauveur, appelé Saoshyant chez les parsis de l'Inde ou Shah-Bahram pour ceux d'Iran, sera venu purifier notre terre et rétablir la justice dans un monde rénové. Mais il existe aussi un Royaume du Ciel où trône Ahura Mazdâ, le dieu du bien et de la lumière. Le prophète demande par cette prière le bonheur et l'immortalité pour les justes, de la part du Père céleste : "A celui-là, accorde prospérité, bonheur et immortalité. Tu lui donneras une perpétuelle communion avec la Vérité et le Royaume du Ciel. Tu lui donneras, pour le soutenir, la force du bon Esprit." (cité par D.J. Irani, dans "The divine songs of Zarathustra). La mort ne met pas fin aux rapports entre le défunt et les membres de la famille qui survivent car l'esprit s'intéresse toujours aux vivants. Il y a échange d'influence entre les âmes désincarnées et les vivants par les prières influentes pour les premiers et par les prières, actions charitables et pieuses pour les seconds. "Une bonne action vaut mieux que dix mille récitations ou prières" est-il écrit (Yama, Ha, XVI:7). Toutes les vertus individuelles et sociales sont préconisées dans cette foi ancienne : charité, générosité, compassion, hospitalité, pureté, chasteté, éducation, lutte contre le mal, horreur du mensonge, de la calomnie et de la médisance, justice accompagnant la sincérité. L'accent est mis sur la véracité en toutes choses. Bonté envers les animaux, travail élevé à une forme d'adoration, égalité des droits des deux sexes, réforme de la société et prières pour les disparus.

JUDAISME: Comme on l'a déjà vu, cette foi étant avant tout une foi nationaliste, théologiens et rabbins n'étaient pas enclin à philosopher sur l'âme et sur la vie future. Ils pensaient que puisque le corps et l'âme vivent ensemble, si le corps meurt, on n'est plus qu'un demi-vivant : la résurrection charnelle leur semblait donc un article de foi. Dans le livre ancien du Zohar (splendeur) qui aurait été révélé par le prophète Elie et qui est un commentaire allégorique du Pentateuque (les 5 premiers Livres de l'Ancien Testament), le mort passe dans l'au-delà avec son cortège de visions, de lumières et il est accueilli par des amis. L'Ecclésiaste dit d'ailleurs textuellement que "le jour de la mort est préférable au jour de la naissance" (VII:1) Après la venue du Messie de gloire qui doit rétablir les juifs dans leur pays, après de grandes crises et calamités sur toute la terre, Yahwe exterminera les Juifs pécheurs par la peste et par l'épée, et après le jugement universel, enverra les mauvais dans la géhenne pour y brûler éternellement, tandis que les justes pourront contempler indéfiniment la grande Gloire du Seigneur.

CHRISTIANISME: Contrairement au Judaïsme, l'eschatologie chrétienne est très claire. Adam et Eve ayant commis le "péché originel" au jardin d'Eden en désobéissant à Dieu, sont coupables ainsi que tous leurs descendants. Mais, dans Sa grande Miséricorde, Dieu a envoyé sur terre son Fils unique Jésus-Christ qui, par Sa mort sur la croix et Sa résurrection, a racheté l'humanité de ce péché et permis à celles et ceux qui ont reconnu ce divin Envoyé de Dieu de posséder la vie éternelle. C'est du moins la croyance commune à plus d'un milliard et demi de chrétiens, dont 20 à 25% croient, à l'instar des hindous, à la réincarnation. Mais presque tous croient à la parousie, c'est-à-dire au retour du Christ "dans la gloire de Son Père", qui doit revenir en temps et lieu voulus et après certains signes caractéristiques, pour "juger les vivants et les morts" comme il est dit dans le Credo catholique. Le temps de ce retour varie selon les exégètes et Paul pensait que ce serait même de son vivant. Les adventistes, se basant sur une prophétie de Daniel, ont avancé la date de 1844 de l'ère chrétienne. Le lieu serait situé en "Elam", une province de Perse. Un des premiers signes précédant ce retour serait la déchristianisation, le second la venue d'un Anti-Christ qui serait un imposteur accomplissant des miracles. D'autres signes sont également mentionnés dans la Bible comme le retour des Juifs dans leur pays, les guerres et bruits de guerre sur toute la surface de la terre (Mathieu XXIV:6). Au jour du Jugement, Paul envisage même une "destruction éternelle" (II Thessaloniciens:I:9) pour les méchants tandis que les justes hériteront éternellement du Royaume de Dieu avec Christ. Certains passages d'épîtres de l'apôtre Paul indiquent qu'il est possible d'entrer dans ce Royaume de Dieu alors qu'on est encore sur terre (Colossiens I:13 ; Ephésiens II:6). Selon Mathieu (XXIV: 42-44) et la seconde épître de Pierre (III:10), le jour du Seigneur doit venir comme "un voleur dans la nuit" et le monde sera détruit par le feu pour céder la place à de nouveaux cieux et une nouvelle terre (verset 13). Mais c'est Jean qui, dans son Apocalypse, donne le plus de détails et distingue clairement les deux résurrections, avec son millenium du Christ inexistant chez les autres narrateurs. Lors de la première phase, Jésus revient pour détruire l'Anti-Christ et ses comparses et emprisonner Satan pour une période de mille années (Rév. XX: 1-3) : c'est la première résurrection. Seuls les martyrs chrétiens qui ont sacrifié leur vie pour leur apostolat ressuscitent pour mille années, tous les autres restant morts (XX: 4-5). Lorsque après mille années, Satan est relâché de sa prison et qu'il a réuni une immense armée, il s'approche du royaume messianique, Jérusalem, mais il est détruit par le feu du ciel qu'envoie alors Dieu, et Satan finit pour toujours dans un lac de feu (XX:7-10). La seconde résurrection a lieu, durant laquelle tous les autres morts ressuscitent et reçoivent leurs récompenses selon leurs oeuvres. Elle est identique à celle des zoroastriens, des juifs et des musulmans (XX:12). On connaît cette vision poétique du sort des justes : "Et j'entendis du trône une voix forte qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu." (XXI:3-4). Ecoutons, pour clore ce chapitre, la pensée du professeur de théologie américain James Thayer ADDISON dans son livre "La vie après la mort dans les croyances de l'humanité" : "Partout où il y a de la vie, il doit y avoir croissance et partout où il y a croissance, il ne peut y avoir de catégories permanentes comme celles qui servent à classer ce qui est immobile…Au classement rigide se substituera le processus d'une Rédemption graduelle et sans terme. Et Dieu trouvera sa divine satisfaction non point dans le spectacle de deux groupes éternellement séparés que composeront les élus, d'une part, et les damnés, de l'autre, mais dans l'infatigable effort de son amour pour remplir la mission qu'il s'est assignée : ramener à lui les égarés, sauver ceux qui semblaient perdus." Nombreux sont les penseurs contemporains qui partagent l'opinion de ce grand professeur chrétien. 

* ISLAM: L'Islam Shi'ah (ou chiite) – cette partie des musulmans qui reconnaît le gendre de Muhammad, Ali, comme successeur de droit divin du Prophète et après lui, les douze Imams – croit que la résurrection générale de l'humanité sera précédée de la venue d'un Mahdi (Messie dans la tradition judéo-chrétienne) qui vaincra l'oppression et la tyrannie et remplira la terre de justice et d'équité. Ce Madhi sera de la lignée du Prophète Muhammad et d'une grande sainteté. Il viendra de la province de Khurasan en Perse et se dirigera avec ses partisans portant des étendards noirs vers le centre du Caliphat. D'autres signes sont également décrits : l'apparition de Gog et Magog, la venue de la Bête, la fumée qui couvrira la terre plusieurs jours et trois éclipses dans l'Est, l'Ouest et la péninsule arabique. Immédiatement avant la résurrection, l'ange Israfil fera retentir deux sonneries de trompette : "Et l'on sonnera la trompette, et tout ce qui est dans les cieux et sur la terre expirera, excepté ceux que Dieu voudra laisser vivre ; puis on sonnera une seconde fois, et voilà que tous les êtres se dresseront et attendront. Et la terre brillera de la lumière de son Seigneur, et voilà que le Livre est déposé, et que les prophètes et les témoins sont mandés, et que la sentence sera prononcée avec justice, et que nul ne sera lésé. Et toute âme sera payée selon ses oeuvres (Coran XXXIX:68-70). D'autres traditions mentionnent trois étapes au lieu de deux : d'abord celle de "la consternation où tous seront terrorisés, la terre tremblera, les montages seront élevées, le soleil obscurci et les étoiles tomberont." La seconde est celle de "l'examen" où tous les êtres expireront. Après 40 années de mort générale, viendront des pluies torrentielles et alors aura lieu la troisième étape, celle de "la résurrection" de toute l'humanité. Les Ecrits semblent unanimes à parler d'une résurrection corporelle. (CoranXVII:53 ; XIX:68 ; LX: 3 ; LXXV:1-4). Puis aura lieu le jugement par l'ange Israfil : Ceux dont la balance penchera jouiront de la félicité. Ceux pour qui la balance sera légère seront les hommes qui se sont perdus eux-mêmes, condamnés à rester éternellement dans la géhenne." (XXIII.104-105). Et l'ange Gabriel, intermédiaire entre Dieu et son prophète, contrôlera le jugement qui précédera le passage du pont Sirat (cité ci-dessus) plus tranchant qu'une épée. Rappelons qu'il y a deux jugements également dans la croyance des zoroastriens, l'un individuel, l'autre universel. Dans ces deux croyances, le pont à traverser existe. Toutefois, l'enfer et le ciel sont temporaires pour les parsis, alors que l'enfer est permanent pour les infidèles et les idolâtres chez les musulmans. Pour ces deux religions, la plus grande joie du juste, après sa mort, sera de contempler le créateur qu'ils pourront rencontrer. Seul le nom de ce dernier diffère chez les adeptes des diverses religions. Les traditions hébraïque, zoroastrienne et islamique concordent donc en la croyance d'une vie terrestre préparatoire à la vie posthume, où auront lieu d'abord un jugement individuel, puis un jugement général de l'humanité.

FOI BAHA'IE: L'humanité ayant successivement dépassé l'âge de l'enfance, puis de l'adolescence et de la jeunesse, entre maintenant dans l'âge dit de la maturité. Point n'est besoin d'images d'Epinal et de paraboles, le Messager divin peut s'exprimer clairement et sans détour. Aussi les Ecrits baha'is, révélés au milieu et à la fin du 19ème siècle sont-ils explicites, avec toutefois la limite de la compréhension humaine, certains mystères ne pouvant être appréhendés que dans le royaume supérieur divin où se rendra l'âme après son court séjour terrestre. Répondant à une question concernant l'évolution de l'âme après la mort, Baha'u'llah écrivit ceci : "Sache en vérité que l'âme, après qu'elle a été séparée du corps, continue de progresser dans un état et dans des conditions que ne sauraient changer ni les révolutions des âges et des siècles, ni les hasards et les vicissitudes de ce monde, jusqu'à ce qu'elle ait accédé à la présence de Dieu. Elle durera autant que dureront le royaume de Dieu, Sa souveraineté, Son empire et Sa puissance. Elle manifestera les signes et attributs de Dieu, et révélera sa tendre bonté et générosité. Ma plume s'arrête, impuissante, quand je tente de décrire la gloire d'un si sublime état. L'honneur que la main de miséricorde conférera à l'âme humaine est tel, qu'aucune parole ne le peut adéquatement révéler, ni aucun autre moyen d'expression le décrire. Bénie l'âme qui, à l'heure où elle est séparée du corps, se trouve purifiée des vaines imaginations des peuples de ce monde ! Une telle âme vit et se meut selon la volonté de son Créateur et parvient au suprême paradis. Les célestes houris, habitantes des plus hautes demeures, s'assemblent autour d'elle, et les prophètes et messagers de Dieu recherchent sa compagnie. Elle entretient librement ces êtres célestes de tout ce qu'elle a souffert dans le chemin vers Dieu, le Seigneur de tous les mondes. Si l'homme savait ce qui est réservé à son âme dans les mondes de Dieu, le Seigneur des cieux et de la terre, il se consumerait du désir d'atteindre un si sublime, un si resplendissant état … La nature de l'âme après la mort ne peut jamais être décrite et il n'est ni opportun, ni permis, de révéler son véritable caractère aux yeux des hommes. Il écrit encore : "Le monde de l'au-delà est aussi différent du monde terrestre que celui-ci diffère du monde que connaît l'enfant dans le sein de sa mère. Et quand l'âme sera en la présence divine, elle prendra la forme la plus convenable à son immortalité, la plus digne de son habitation céleste. Son existence, toutefois, est contingente et non pas absolue, en tant que le contingent dépend d'une cause, tandis que l'absolu en est affranchi." A l'objection faite que la conscience de la personnalité ne pourra pas survivre après la mort physique, puisqu'un simple évanouissement prive l'homme de l'usage de ses facultés mentales, Baha'u'llah a répondu que l'âme était complètement indépendant des infirmités du corps et de l'intelligence, qu'aucune maladie ne saurait affecter l'essence même de l'âme : "Toute âme pure, évoluée et sanctifiée, à la sortie du corps, n'en montera pas moins une puissance et une influence qu'aucune force terrestre en saurait égaler. Elle sera alors douée d'un dynamisme extrêmement puissant et connaîtra une joie sans pareille." On lit ailleurs que ces âmes constituent "le levain qui fait monter le monde de l'être et crée la puissance par laquelle se produisent les arts et toutes les merveilles du monde." Baha'u'llah nous révèle également que les mondes de Dieu sont infinis dans leur nombre et autant que dans leur étendue. De même, explique-t-il, que le monde des rêves est différent de notre monde puisqu'on peut se déplacer tout en restant immobile, de même les mondes de Dieu sont différents : "Dans chacun de ces mondes et pour chacun d'eux, le Tout-Puissant a établi un ordre de choses que nul autre que Lui, l'Omniscient, le Très-Sage, ne peut sonder". A la question de savoir où se rendaient les âmes après la mort, Abdu'l-Baha affirma : "Les âmes qui sont pures et immaculées, après la dissolution de leurs structures élémentaires, se hâtent vers le monde divin, et ce monde-là est à l'intérieur de notre monde. Les habitants de ce monde, toutefois, sont ignorants de cet autre monde, et semblables aux minéraux et aux végétaux qui ne savent rien du monde animal et du monde de l'homme". Telles sont quelques-unes des révélations magistrales que le chercheur trouvera dans les Ecrits lumineux baha'is. Pour saisir tout à fait la nature de cette vie posthume et mystérieuse en bien des points pour nous, faibles humains, il faudra attendre avec foi et confiance l'échéance finale terrestre, car il est aussi écrit : "Lorsque l'âme humaine quittera cet éphémère amas de poussière pour s'élever vers le monde divin, alors les voiles tomberont et les vérités apparaîtront en pleine lumière, toutes choses ignorées jusqu'alors deviendront claires et les vérités cachées seront comprises." A l'instar de toutes les grandes religions brièvement abordées dans cette étude comparative sur la vie "post mortem", la Foi baha'ie prêche le détachement de ce monde comparable à "une ombre dont la disparition est plus rapide que le battement de la paupière". Abdu'l-Baha nous conseille ainsi : "Ces quelques brèves journées passeront, cette vie présente s'effacera de notre vue ; les roses de ce monde perdront leur fraîcheur et leur beauté, le jardin des triomphes et des délices de cette terre languira et s'évanouira. Le printemps de cette vie se changera en automne de mort, la joie brillante des halls de palace fera place à la nuit sans lune des tombeaux. C'est pourquoi rien de tout cela n'est digne de notre amour et le coeur du sage ne s'y attachera pas." Avant de conclure, il reste un mot à dire sur l'enseignement qu'on peut éventuellement tirer de ces nombreuses expériences à l'approche de la mort, ou expériences de mort imminente de plus en plus connues du grand public. 

IV. Expériences de mort imminente (NDA - Near Death Experience) 

 Voici plus d'un demi-siècle qu'on essaie d'analyser, d'abord aux U.S.A., puis en Europe, ces expériences de mort imminente puisque c'est un phénomène assez courant qui concerne près de 5% des américains entre autres. Les ouvrages sérieux d'Elisabeth KUBLER-ROSS et du docteur Raymond MOODY sont assez connus. Notons toutefois ce point : presque toutes les personnes qui sont passées par cette expérience, ont ensuite modifié leur système de valeurs en se détachant des possessions matérielles pour s'intéresser davantage aux valeurs spirituelles. Kenneth RING, entre autres chercheurs connus en ce domaine, est catégorique en ce sens dans son livre "Heading toward Omega" dans lequel il analyse 26 cas de NDE (near death experience) similaires dans leur comportement postérieur à leur mort apparente. Rappelons brièvement les 8 points communs à ces expériences de mort imminente selon Raymond MOODY : - La paix et la tranquillité : la conscience des douleurs physiques a disparu. - Sortie de son corps mais possession d'un autre genre de corps immatériel. - Passage dans un tunnel obscur et étroit avec lumière vive en bout de tunnel - Accueil par des êtres d'amour et de lumière, souvent des amis ou de la famille. - Ensuite apparition d'un Grand Etre de lumière qu'on identifie au fondateur de sa religion. - Défilement rapide de sa propre vie en 3 dimensions en prenant conscience de la véritable valeur de toutes ses actions sur terre. - Impression de voler ou de flotter hors de la terre. - Répugnance à retourner sur terre : le choix est parfois donné par le Grand Etre de lumière. Ce genre d'expérience n'est certes pas nouveau. Platon, 2500 ans auparavant, en parle dans sa "République" ; le pape Grégoire-le-Grand également au sixième siècle. Ses descriptions rappellent les étapes d'après la vie terrestre telles qu'on les lit dans les Ecrits hindous et zoroastriens. Gustave DORE en fait une illustration dans sa peinture de "Dante et Béatrice". Avant lui, un peintre hollandais, Hiéronyme BOSCH, a peint une fresque surréaliste connue sous le nom de "Ascension vers l'Empyrée". On y voit ce fameux tunnel obscur donnant sur une lumière vive où des anges attendent les défunts qui se présentent. Il existe plusieurs théories plus ou moins scientifiques qui tentent d'expliquer logiquement la cause de telles expériences : l'astronome américain Carl SAGAN suggère que le tunnel par exemple ne serait qu'un souvenir de l'expérience de la naissance ; Richard HEINBERG va même jusqu'à penser que ce désir mystique de paradis peut être une réminiscence du paradis d'Adam et d'Eve. Laurent CABROL dans son livre "Dieu, que la mort est belle !" fait part de la théorie troublante du neurochirurgien Wilder PENFIELD qui s'est livré à des expériences au Canada sur les cerveaux humains : des excitations électriques faisaient naître des images correspondantes en partie à celles des NDE (le tunnel, la lumière vive…) mais plus tard il admit que ses expériences n'étaient pas concluantes. Il est curieux de constater que le "Bardo Thodol", le livre des morts tibétain, décrivait déjà très en détails les phénomènes postérieurs à la mort. L'âme reste quelques jours près du corps, comme le croiront bien plus tard les parsis, et expérimente pendant ce temps-là trois états intermédiaires : d'abord la vision d'un Etre lumineux dans un paysage magnifique et l'âme s'identifie alors à cette lumière. Si elle ne peut pas y arriver, elle éprouve alors un autre état intermédiaire dans une projection de corps assez semblable au corps terrestre et se trouve alors en présence de sept êtres divins ; si l'âme est incapable de s'identifier à eux elle rencontrera sept démons terrifiants qui ne seront en fait que des projections de son subconscient, les démons de ses craintes et de ses désirs. L'âme se meut sans effort en dehors du plan physique, observe ce qui se passe autour du corps abandonné et finit par se trouver en présence de YAMA, le Seigneur de l'autre monde, roi et juge des morts. Bien qu'on sache combien l'usage des sens peut être trompeur en réalité, alors que les croyants préfèrent s'en tenir, par la foi, aux révélations inspirées des fondateurs de leur croyance, il est intéressant de noter certains parallèles entre ces enseignements religieux et les expériences de mort imminente. a) Survivance d'une entité non matérielle La plupart des religions affirment l'existence d'une entité non matérielle, généralement appelée âme, qui survit au corps physique mais qui est d'une nature différente. Cette nature non matérielle est même pour certains le meilleur garant de son immortalité. Le fondateur de la foi baha'ie, Baha'u'llah , déclare qu'après la séparation du corps "l'âme prendra la forme qui convient le mieux à son immortalité et qui sera digne de son habitation céleste". Tous les récits de mort imminente parlent d'un corps qui n'est plus physique, mais comme une forme d'énergie., transparent et spirituel et pourtant formé, ajoutent certains, de différentes parties. b) L'être de lumière Chez les chrétiens et les musulmans, l'âme arrive à rencontrer Dieu. (I Corinthiens XIII:12 ; Révélations XXII:4). Paul eut cette même vision d'un Etre de lumière, en l'occurrence le Christ, sur le chemin de Damas (Actes XXVI:13-26) et dans le Coran, sourate 75, versets 22 et 23, on lit : "Ce jour-là; il y aura des visages qui brilleront d'un vif éclat, et qui tourneront leurs regards vers leur Seigneur." On a vu que les zoroastriens justes pourraient contempler leur dieu Ahura Mazdâ sous la forme d'une pure lumière. D'autres croyances aussi parlent d'êtres saints qu'on rencontrerait dans l'au-delà. Pour les baha'is, l'essence divine ne sera jamais accessible pas plus que nos corps physiques ne pourraient supporter la chaleur intense du soleil même et, pour eux, tous ces messagers divins tels que Krishna, Moïse, Jésus, Zoroastre, Muhammad ou Baha'u'llah sont comparables à des miroirs parfaits réfléchissant la lumière du soleil. c) Revue de sa vie On a vu dans les expériences de mort imminente qu'une des étapes du défunt était la passation instantanée de sa vie avec la prise de conscience réelle de tous ses actions. Ceci correspond au jugement décrit dans toutes les religions. Ainsi les expériences négatives qui sont racontées après des tentatives de suicide manquées correspondent à l'enseignement religieux de respecter la vie, en commençant par la sienne propre. d) La rencontre d'autres personnes, en particulier la famille et les amis, est commune à presque toutes les expériences de mort imminente. C'est aussi une croyance commune à plusieurs fois. Dans les Ecrits baha'is, on lit : "Quant à la question si les âmes se reconnaîtront dans le monde spirituel, c'est un fait certain car le Royaume est un monde de vision où toutes les réalités cachées seront dévoilées. Combien plus les âmes bien connues deviendront manifestes … combien plus on reconnaîtra ou découvrira les personnes avec qui on a été associé."

Conclusion 

 Frederick W.H. MYERS, dans son livre "Human Personality and its Survival of Bodily Death" résumait déjà en 1903 le résultat des recherches de la Société de Recherches Psychiques de la façon suivante : "L'observation, l'expérimentation, la déduction ont conduit beaucoup de chercheurs, sont je suis, à croire à une communication télépathique directe, non seulement entre les esprits des hommes qui sont encore sur la terre, mais encore entre ceux-ci et les esprits des défunts. Une telle découverte ouvre aussi la porte à l'idée de la révélation …Nous avons démontré que, parmi beaucoup d'erreurs collectives ou subjectives, de fraudes ou d'illusions, de véritables communications nous parviennent d'outre-tombe…" "Par des découvertes et des révélations, certaines thèses ont été provisoirement établies au sujet d'âmes de disparus qu'il nous a été donné de rencontrer. Le fait le mieux établi, du moins à mon avis, est que leur état semble être un état d'évolution perpétuelle dans la sagesse et dans l'amour. Leurs affections terrestres persistent et surtout ces amours d'essence supérieure qui s'expriment par l'adoration et le culte… Le malheur apparaît moins comme une chose affreuse que comme un esclavage. Il n'est pas incarné par une puissante entité mais représente plutôt une démence individuelle de laquelle les esprits les plus évolués s'efforcent de libérer toute âme déformée. Point n'est besoin du châtiment par le feu : la découverte du moi est la punition ou la récompense de l'homme, ainsi que la connaissance de soi-même et l'intimité ou l'éloignement d'âmes amies. Car, en ce monde-là, l'amour est véritablement ce qui préserve l'individu ; la communion des saints n'orne pas seulement la vie éternelle, mais elle la constitue. Bien mieux, des lois de la télépathie, il résulte que cette communion a sa valeur pour nous ici-bas aujourd'hui même. Dès à présent, l'amour des âmes envolées répond à nos invocations. Dès à présent, notre souvenir affectueux – l'amour est en lui-même une prière – soutient et fortifie les esprits délivrés dans leur voie ascendante." Au cours de cette esquisse, nous avons survolé les croyances générales eschatologiques de quelques cinq milliards d'individus, un milliard cent millions environ étant classés comme incroyants ou athées. Des preuves baha'ies ont été avancées en faveur de l'immortalité de l'âme et pour la plupart des gens, cet univers visible ne peut avoir de sens que s'il en existe un autre ou d'autres invisibles qui donnent un sens à la vie terrestre passagère. C'est ce que confirme cette société de recherches psychiques ainsi que les expériences de mort imminente. Une partie importante des croyants croient en la réincarnation et le reste ou presque à la résurrection des corps. La foi baha'ie se porte à faux sur ces points : a) La croyance en la réincarnation n'est pas logique du fait qu'on devrait voir des gens heureux sur terre puisque les vies successives auraient lieu pour évoluer et obtenir des récompenses avant l'anéantissement dans un nirvana qui apparaît comme le néant. Or, combien peu d'être humains se proclament vraiment heureux et comblés ici-bas ! b) Non seulement on ne se souvient pas de "ses vies antérieures", mais le changement d'état ne peut pas s'obtenir en revenant constamment : les ténèbres, en revenant constamment, ne donneront jamais la lumière, pas plus qu'une succession d'erreurs aboutira automatiquement à la vérité. c) Si, comme l'enseigne la foi baha'ie, "le visible est l'expression de l'invisible, on ne voir jamais dans la nature deux êtres absolument identiques : deux fruits ne peuvent pas être composés des mêmes éléments et à chaque saison on assiste au retour de l'espèce, jamais à celui de l'individualité du fruit." d) Les théologiens prétendent que l'évolution suit une circonférence qui part d'un point situé en haut pour se diriger vers le bas en traversant les règnes minéral, végétal, animal puis humain, à savoir l'arc de descente ou de matérialité. A partir de ce point bas commence l'arc ascensionnel, celui de l'évolution qui comporte de nombreux degrés dans la spiritualité. Or la pointe de compas, en décrivant cette circonférence symbolique, ne revient jamais en arrière, ce serait contraire à l'ordre naturel. Le retour d'une âme après la mort n'est pas plus possible pour un homme qu'il ne lui est possible de rajeunir, de même qu'il est impossible à un bébé de rentrer à nouveau dans le sein de sa mère. Quant à la résurrection des corps, des scientifiques se sont amusés à avancer un chiffre fabuleux qui correspondrait sensiblement au nombre d'êtres humains qui ont vécu sur terre depuis plus d'un million d'années. Ils en ont conclu que, si cette résurrection était possible, il faudrait entasser tous ces milliards de corps les uns sur les autres sur plusieurs couches pour qu'ils puissent tenir sur la totalité des surfaces terrestres de la terre ! On est surpris de voir combien nombreuses sont les sectes qui surgissent pas milliers depuis un certain temps, preuve d'une certaine recherche spirituelle de la part des êtres humais. La raison en est que lorsqu'une grande lumière apparaît, elle rayonne tout autour d'elle. Tous ces mouvements réformateurs ou spiritualistes ont souvent des enseignements élevés similaires à ceux de la dernière Révélation divine en date, la révélation baha'ie : ils sont des reflets nés pour la plupart d'entre eux après l'apparition de la lumière divine. Le Mithraïsme a existé au temps du Christ avec des enseignements semblables à ceux du Christ mais il a échoué alors que le Christianisme vit encore parce que la lumière primaire dominante était la puissance spirituelle et lumineuse du Christ, Manifestation divine. Aujourd'hui, à travers toutes les tendances de notre époque, les enseignements eschatologiques et sociaux de la Foi baha'ie nous apparaissent comme la véritable pierre de touche du coeur et de l'esprit car tant la vie que l'oeuvre de Baha'u'llah le font resplendir comme le centre focal de la lumière, et le centre sera toujours plus puissant que ses reflets. 

N.B. Les citations de la Bible judeo chrétienne sont tirées de Louis SEGOND Celles du Coran de la traduction d'Albin de Biberstein KAZIMIRSKI Celles de la Bhagavad Gîtâ de SRI AUROBINDO adaptée par Philippe B. SAINT-HILAIRE Les citations baha'ies peuvent être trouvées dans le site www.religare.org

Sunday, October 5, 2008

Archéologie du royaume de dieu

Archéologie du royaume de dieu Par Jean-Marc Lepain PREMIÈRE PARTIE - L'HERMÉNEUTIQUE Chapitre I - A la recherche du royaume I.1. Le Royaume comme structure d'intelligibilité La question de l'ontologie des mondes divins pourrait paraître une question purement métaphysique. Nous avons cependant choisi d'aborder le problème sous l'angle de l'herméneutique parce que cette approche nous est elle même suggérée par Baha'u'llah dans un texte d'une importance toute particulière: la Tablette de Toutes les Nourritures. Entreprenant l'herméneutique spirituelle du mot "nourriture" dans le Coran, il nous assure que ce mot a une signification en fonction de chacun des mondes de Dieu. Nous avons donc d'un côté un texte qui peut être lu de manière purement herméneutique en faisant l'inventaire de tous les sens répertoriés du mot "nourriture" et nous avons de l'autre une question qui apparaît à première vue comme purement ontologique qui est celle des mondes divins. Malheureusement, cette analyse est trompeuse et elle est la source de toutes les erreurs qui ont été faites dans l'étude de la métaphysique de Baha'u'llah. L'ontologie de Baha'u'llah n'est pas, comme dans les systèmes classiques, le socle fondateur de la métaphysique. Ce socle fondateur serait plutôt dans l'anthropologie et un nouvel humanisme qui place à la base de la métaphysique la question de la nature de l'homme. Le rôle de l'ontologie dans le champ de la métaphysique se trouve alors déplacé. Ainsi l'ontologie baha'ie éclate en deux branches: une onto-herméneutique dont nous trouvons l'exemple dans la "Tablette de toutes les nourritures" et qui définit un "monde" comme un niveau de perception de la révélation dépendant du situs spirituel du chercheur, et d'autre part une onto-cosmologie qui définit un "monde" comme un mode d'être qui est lui même une modalité de l'Esprit dont dépend une structure d'intelligibilité. C'est cette structure d'intelligibilité qui fonde l'unité de l'ontologie et qui assure la communication entre l'onto-herméneutique et l'onto-cosmologie. Cette explication peut apparaître comme bien compliquée comme toute explication philosophique. La lecture des textes de Baha'u'llah permet d'ignorer le plus souvent ces problèmes parce que Baha'u'llah au lieu d'employer un langage philosophique utilise un langage poétique dont la force de communication est fondée sur les images et sur les résonnances que celui-ci éveillent à un niveau intuitif dans l'univers symbolique de notre inconscient collectif et personnel. Ceci ne veut cependant pas dire que l'onto-herméneutique que nous présentons ici dusse être négligée. Elle ouvre la voie à une étude métaphysique en rendant explicite ce qui est implicite, et elle nous fournit une véritable clef pour la lecture des écrits de Baha'u'llah en montrant que ce qui peut à première vue être pris pour une poétisation innocente, ou les excès d'un style oriental à élaguer pour parvenir au coeur du texte, représente en fait un réseau indispensable d'indications pour situer le niveau de lecture du texte et son sens philosophique. I.2. La Tablette de toutes les nourritures Baha'u'llah révéla la "Tablette deToutes les Nourritures" peu de temps avant son départ pour les montagnes du Kurdistan, en avril 1854, à un moment où il vivait d'intenses épreuves de par les dissensions et la désunion qui régnaient alors dans la communauté babie renaissante. Dès son arrivée à Baghdad, Baha'u'llah s'était efforcé de rassembler autour de lui les babis désorientés à la suite du martyre du Bab. Les persécutions qui avaient suivi ces événements dramatiques avaient été la cause de la disparition de l'élite de la communauté babie, à commencer par les principales "Lettres du Vivant" (1). Subh-i-Azal, un demi-frère de Baha'u'llah, avait été désigné comme le chef nominal de la Cause mais s'était révélé particulièrement incompétent et ses relations avec son frère aîné s'étaient détériorées. Baha'u'llah s'était employé avec succès à ranimer la vie spirituelle de la communauté qui menaçait de s'éteindre. Son action efficace et ses sages conseils portèrent rapidement des fruits. Un grand nombre de babis se tournèrent vers lui pour recevoir conseil et direction spirituels. Mais cette situation suscita la jalousie de certains babis, à commencer par Subh-i-Azal qui était tombé sous l'influence d'un personnage fourbe et ambitieux, Siyyid Muhammad-i-lsfahani, qui s'employait à semer les germes de la dissension dans la communauté. Shoghi Effendi écrit: "A présent, on pouvait clairement discerner une opposition clandestine dont le but était d'anéantir les efforts tentés par Baha'u'llah, et faire échouer tous ses projets en vue de réhabiliter une communauté égarée. Des insinuations, destinées à semer les graines du doute et de la suspicion et à le représenter comme un usurpateur, comme l'abrogateur des Lois instituées par le Bab, le destructeur de sa Cause, étaient sans cesse mises en circulation. Ses épîtres, ses interprétations, ses invocations et ses commentaires étaient critiqués indirectement et en secret, contestés et présentés sous un faux jour. Un attentat contre sa personne fut même mis sur pied mais ne réussit pas." (2) Baha'u'llah voyait que les efforts même qu'il faisait pour relever la communauté babie devenaient cause de désunion. Face à cette situation, il allait bientôt décider de se retirer complètement du monde et quitter Baghdad pour mener la vie d'un derviche errant dans les montagnes du Kurdistan. Cette retraite avait pour but de permettre aux passions de retomber tout en créant un choc salutaire. Au moment où Baha'u'llah écrit la Tablette de toutes les nourritures il méditait certainement déjà cette retraite car il déclare: "Prête l'oreille, O Kamal, à la voix de cette humble fourmi abandonnée qui s'est cachée dans un trou, et dont le voeux est de quitter votre compagnie et de disparaître de votre vue à cause de ce que les mains des hommes ont forgé." (3) Cette période correspond pour Baha'u'llah à une période d'intenses souffrances morales et spirituelles, car rien ne pouvait plus l'affliger que de voir la désunion de la communauté et les croyants eux-mêmes s'abaisser à commettre des actes vils. La Tablette de toutes les nourritures reflète cette souffrance qui revient comme un écho dans le texte: "Des océans de tristesse dont nulle âme ne pourrait supporter d'absorber une seule goutte se sont précipités sur moi", et un peu plus loin il ajoute: "Ma douleur est telle que mon âme s'est presque séparée de mon corps", avant de laisser s'exhaler cette plainte: "Malheur à moi, malheur à moi...tout ce que j'ai vu depuis ce jour où, pour la première fois, j'ai bu le lait pur de ma mère, jusqu'à l'heure présente, est effacé de ma mémoire en raison de ce qu'ont commis les mains des peuples." (4) La tablette est adressée à un croyant du nom de Haji Mirza Kamalu'd-Din, originaire de la petite ville de Naraq. Celui-ci était devenu babi quelques années auparavant. Après la mort du Bab il était resté ferme dans sa foi malgré les dissensions qui avaient fait jour. L'état où se trouvait alors le mouvement babi lui causait beaucoup de préoccupation et c'est sans doute une des raisons qui le poussa à se rendre à Baghdad. Son but avoué était de rencontrer Subh-i-Azal, alors considéré comme le représentant nominal du Bab, afin de lui demander des éclaircissements sur un certain nombre de points d'exégèse et de mystique. Cependant, arrivé à Baghdad, Kamalu'd-Din fut dans l'impossibilité de trouver trace de Subh-i-Azal qui à ce moment vivait caché et refusait d'entrer en contact avec les croyants. Kamalu'd-Din écrivit donc à Baha'u'llah en lui demandant de solliciter de Subh-i-Azal un commentaire sur un verset du Coran tiré de la Sourate de la Famille d'Imràn qui dit: "Toutes les nourritures étaient licites aux enfants d'Israël exceptées celles qu'Israël s'interdit à lui-même avant que ne fut révélée la Torah" (5). D'après la tradition, ce verset aurait été révélé par le prophète pour répondre aux attaques des juifs de Médine qui s'étonnaient que les interdits alimentaires de l'Islam ne fussent pas les mêmes que ceux du Pentateuque, et surtout, qu'ils fussent moins nombreux, car l'observation scrupuleuse de la Loi faisait leur fierté. Baha'u'llah transmit la lettre à Subh-i-Azal qui rédigea à l'intention de Kamalu'd-Din une réponse qui s'avéra si superficielle que celui-ci perdit toute foi en lui. Kamalu'd-Din se tourna alors vers Baha'u'llah dont il avait commencé à entrevoir la grandeur et le savoir. C'est ainsi que Baha'u'llah révéla à son intention la tablette aujourd'hui connue sous le nom de "Tablette de toutes les nourritures" (6). La lecture de cette tablette transforma complètement Kamalu'd-Din. Il fut convaincu que celui qui l'avait écrite ne pouvait être autre que Celui que Dieu manifestera lui-même (7). Baha'u'llah lui enjoignit de garder secret un mystère qu'il était prématuré de divulguer et le renvoya en Perse en lui demandant de partager cette tablette avec les croyants. (8) La question fondamentale soulevée par l'exégèse traditionnelle du verset coranique commenté est celle des lois divines à caractère social (shari'a) et de la capacité qu'ont les prophètes de les modifier. Baha'u'llah reprendra cette question dans le Livre de la Certitude de manière plus approfondie et plus didactique. L'exposé qu'il livre ici est de nature beaucoup plus mystique, comme d'ailleurs la plupart des écrits de cette période. I.3. La hiérarchie des mondes divins La tablette est rédigée en arabe et commence par un long prologue d'une grande poésie tissé autour d'une chaîne de métaphores sur la lumière. Une impression de grandeur et de majesté se dégage de l'ensemble et finit par captiver le lecteur. Baha'u'llah met en mouvement des océans de lumière et de feu dont les vagues s'entrechoquent sous nos yeux (9). Il décrit le débordement d'un océan enflammé jaillissant du Temple de sainteté; Temple qui constitue vraisemblablement une allusion à sa propre personne (10). Puis, changeant de registre, il annonce que la Colombe de lumière, symbole comme nous le verrons de l'inspiration divine, s'est à nouveau mise à chanter des mélodies éternelles, qu'une Lumière brille sur le mont Sinaï, et que l'Oiseau de lumière est sorti hors des voiles qui le dissimulaient à la vue des hommes (11). Baha'u'llah commence par expliquer que le mot "nourriture" a de nombreux sens et ces sens ne peuvent être compris qu'à travers la hiérarchie des mondes spirituels qui sont au nombre de quatre. Ces quatre mondes sont les mondes de Hahut, Lahut, Jabarut et Malakut (12). I.4. Le monde de Hahut Le monde de Hahut est celui où l'essence non manifestée de Dieu est totalement voilée. Il n'existe, sur ce plan ontologique, pas d'autre être que Dieu; sa singularité est totale, et il n'existe aucune créature pour le connaître. C'est à cette station du Hahut que s'appliquent les paroles des prophètes telles que: "Au commencement était Dieu; il n'y avait point de créatures pour le connaître" et "Le Seigneur était seul sans personne qui l'adorait". (13) Le monde de Hahut est le monde du commencement dans un temps hors du temps dans l'antériorité des causes. En effet, Baha'u'llah affirme par ailleurs que Dieu a toujours été créateur et qu'il y a toujours eu une créature pour le connaître. C'est pourquoi il indique que ces paroles signifient "que l'Être divin est établi dans une habitation qui se trouve hors de portée de la connaissance de quiconque n'est pas lui." (14) Baha'u'llah nous décrit ce monde comme le monde de "Il est" (Huwa), "le Paradis de l'Absolue unicité" (Ahadiyya). (15) C'est l'Absconditum où aucune intelligence n'a jamais pénétré. On se réfère à ce monde comme à celui du "Mystère caché" ou comme au "Premier point", car le point primal (al-nuqta al-awwaliyya) est la première singularité à partir de laquelle tout a procédé, celle qui contient en elle toutes les potentialités de l'existence. C'est l'Un qui ne contient que lui-même et à partir duquel pourtant tous les nombres ont été engendrés. Dieu, dans ce monde, est une essence non manifestée, car l'essence se manifeste par les attributs; or ceux-ci ne se distinguent pas encore de l'essence. Les philosophes antiques ont fait référence à ce monde comme au monde de l"'Un". Ce passage de la tablette peut être rapproché d'un commentaire que 'Abdu'l-Baha (16)donna quelques années plus tard, alors qu'il n'était âgé que de dix-sept ans, sur le fameux "dit" (hadith) du prophète Muhammad "J'étais un trésor caché, j'aimais à être connu et à cette fin je créais la créature". La première partie de ce commentaire est consacrée à la station du Trésor caché que Baha'u'llah dans notre texte a clairement identifié au monde de Lahut. 'Abdu'l-Baha explique que la station du Trésor caché correspond au plan invisible de l'essence divine où celle-ci demeure dans son unicité la plus absolue. Pour parler de cette station les philosophes et les théologiens se sont servis de termes multiples et tous plus abscons les uns que les autres, tels que "l'Identité cachée" (Ghayb al-huwiyya), "l'Unicité pure" (Sarf al-ahadiyya), "l'Occultation des occultations" (Ghayb al-ghuyyub), "l'Absolu inconnu", "l'inaccessible à toute qualification" (Mahjul al-na'at), ou "l'inaccessible à la conscience" (munqata al-wujdani) et bien d'autres encore. (17) La diversité de ces expressions ne fait que révéler la perplexité de l'homme. La seule chose que l'on puisse affirmer avec certitude est que l'essence divine est inaccessible à l'intelligence humaine et au-dessus de toutes les comparaisons et de toutes les métaphores que l'on utilise généralement pour la décrire. 'Abdu'l-Baha reprend cependant un des lieux communs de cette littérature en lui donnant un sens original. Il écrit que la seule façon de se représenter l'essence divine consiste à imaginer un point et de considérer comment dans le point sont cachées toutes les lettres et tous les mots (dans l'écriture arabe le point est un élément essentiel qui donne sa valeur à la lettre), sans que pour autant on ne trouve dans le point aucune trace de leur ipséité (huwiyyat), et sans non plus qu'on puisse établir la moindre distinction entre eux. (18) Ainsi, si on considère l'essence divine sur ce plan ontologique, on constate que les noms, les attributs et les potentialités essentielles (shu'unat-i-dhatiyyih) (19) sont dans un état de non existence, et c'est bien pour cette raison que l'on parle de l'essence comme d'un "Trésor caché" car bien que rien ne soit manifeste sur ce plan ontologique, c'est pourtant du non manifeste de cette essence que découle l'existence de toutes choses. 'Abdu'l-Baha emploie alors une autre image qui est également un lieu commun de cette métaphysique de l'Être. Il prend l'image de l'Un (Ahad) qui contient en lui tous les nombres. Puisque sans le concept de l'Un les autres nombres ne pourraient exister (en langage moderne nous dirions que s'il n'existait pas de quantité discrète la mesure de la quantité serait impossible), alors, on peut considérer que c'est l'Un qui engendre tous les autres nombres, et donc que tous les nombres sont contenus dans l'Un sans que, bien sûr, on ne puisse trouver en lui la moindre trace de ces nombres. (20) Ainsi le caractère d'absolue transcendance de l'essence divine se trouve préservé. Baha'u'llah dit, parlant de cette station: "la porte de la connaissance de l'Eternel a toujours été et restera à jamais fermée à la face des hommes" . (21) Finalement, le Trésor caché conserve son mystère, car, contrairement à ce que la plupart des penseurs et des philosophes ont fait avant eux, Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha se gardent bien d'identifier le Point primal, ou l'Un, à l'essence divine. Pour eux il s'agit tout au plus d'images (tamthil), ou si on veut, de représentations mentales (tasawurat) destinées à faciliter notre compréhension. Dans une de ses tablettes en persan Baha'u'llah affirme qu'il est faux de dire que Dieu est Un car c'est déjà introduire le signe de la quantité, et Dieu est au-dessus de tout nombre et de toute quantité. Il ne serait donc question d'affirmer comme le philosophe alexandrin Plotin le fait que Dieu est l'Un ou que l'Un est Dieu, ou comme les platoniciens musulmans tels que les philosophes ismaëliens, Nasiri'd-Din Tusi, Nasir-i-Khusraw ou l'École des frères de pureté (Ikhwan al-safa), qui influenceront toute la philosophie ultérieure en Perse, que Dieu a créé l'Un comme une première émanation de lui-même, et que l'Un aurait à son tour été l'agent de la création de toutes choses, ou encore que l'Un est la première hypostase qui se confond avec Dieu et qui engendre à son tour les hypostases de l'lntelligence ('aql) et de l'âme (nafs). Toute référence au Point ou à l'Un n'est qu'une commodité de langage. I.5. Le monde de Lahut Dans le monde de Lahut, les attributs de Dieu commencent leur extériorisation. Les potentialités contenues dans l'essence divine se manifestent, mais uniquement à l'intérieur de sa divinité. Sur ce plan de l'existence, les manifestations divines existent, mais leur existence est en union totale avec l'essence de Dieu. Elles n'ont ni individualité, ni identité propre. Elles ne possèdent d'autre moi que le moi divin; c'est pourquoi on appelle ce monde le royaume de "Il est Celui qui est et il n'est pas d'autre que Lui" (Huwa huwa wa la ila huwa) (22). Ce monde est le monde de la première émanation divine (tajalli, c'est-à-dire de l'Esprit-saint ou du Verbe divin). Ce Verbe est la force spirituelle dont Dieu s'est servi pour créer le monde. Les philosophes se sont pour leur part référés à cette force spirituelle en l'appelant le Logos ou le Nôus. Dans les multiples passages des écrits de Baha'u'llah qui se réfèrent au monde du Verbe divin, il décrit celui-ci comme la force invisible qui anime sa manifestation et l'inspiration qui fait se mouvoir sa plume. Tantôt il en parle comme d'un monde totalement divin et extérieur à lui-même où l'essence de Dieu se manifeste à lui comme "le Seigneur des seigneurs", tantôt il le décrit comme se manifestant à travers sa propre personne et s'incarnant en lui. Il s'agit, bien sûr de deux points de vue relatifs et nullement exclusifs. Dans ses écrits, Baha'u'llah en vient fréquemment à distinguer ces plans ontologiques. Le lecteur occidental aurait tort de croire qu'il s'agit là de purs artifices poétiques. Lorsque, par exemple, Baha'u'llah se réfère à lui-même comme "la Langue de grandeur", ou "la Plume très exaltée", il n'utilise pas de simples métaphores poétiques; il veut précisément indiquer que la voix qui parle à travers lui se situe, à ce moment, sur le plan du monde de Lahut, comme à d'autres moments il lui arrive de se situer sur le plan du monde de Jabarut. Aussi ces expressions sont de précieuses indications pour la compréhension métaphysique et spirituelle de ces textes. Dans le monde de Lahut il n'est pas possible de faire une distinction entre Dieu et sa Manifestation. Celle-ci s'exprime dans l'absolue nudité de son essence en union avec l'essence divine; tout autre vestige de son identité a disparu. Lorsque Baha'u'llah se manifeste dans cette "station" (maqam), il est totalement identifié à la Manifestation universelle (Mazhar-i-kulli). C'est lui qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent. C'est lui que le prophète Muhammad a rencontré lors de son ascension au ciel (mi'raj) sous la forme de "l'Arbre de la limite" (Sidrat al-muntaha) (23), image qui désigne le point au delà duquel il n'y a pas de passage pour aucun esprit humain. C'est en parlant de ce plan ontologique de l'existence que Jésus a pu dire "Je suis l'Alpha et l'Omega", et Muhammad "Je suis le premier et le dernier des messagers de Dieu". Car sur ce plan de l'existence chaque messager divin est le retour de tous ceux qui l'ont précédé et l'incarnation de tous ceux qui le suivront car ils ne forment qu'un seul esprit en union totale avec l'Être divin. Le monde de Lahut contient en potentialité tous les autres plans de l'existence et toutes les créatures de ces mondes. C'est le pouvoir du Verbe de Dieu qui permet à cette création virtuelle de devenir une création en acte. C'est pourquoi Baha'u'llah se réfère à ce plan de l'existence comme au monde où les deux lettres K et N qui forment en arabe le mot "Kun !" (soit!) "ont été jointes et liées" (24), car si on se réfère à la tradition coranique c'est par ce mot que Dieu créa le monde. Seule la manifestation divine a accès au monde de Lahut. C'est de ce monde que descend sur elle l'inspiration qui a été symbolisée par la colombe volant au dessus du Christ le jour de son baptême, ou par l'archange Gabriel qui apparut à Muhammad. Dans les Écrits de Baha'u'llah, l'inspiration prophétique est parfois symbolisée par une colombe ou un rossignol, parfois par une créature virginale et angélique qu'on appelle Hourie. Cette Hourie céleste apparaît notamment à Baha'u'llah dans le Siyah-Chal au moment où il reçoit l'intimation de sa mission. Cependant il ne faut pas croire que cette Hourie céleste représente une véritable vision. Il s'agit plutôt d'une image permettant de décrire en termes symboliques l'expérience mystique de l'inspiration prophétique qui résulte de l'union totale avec Dieu. I.6. Le monde de Jabarut Au-dessous du monde de Lahut se trouve le monde de Jabarut. Dans le monde de Jabarut n'existe que la volonté divine (Jabr). Dans ce monde on ne trouve que Dieu et ses manifestations. C'est le plan de l'existence où elles descendent après avoir quitté le plan de l'union fusionnelle des essences qui est propre au Lahut pour acquérir une existence individuelle. Baha'u'llah décrit ce plan d'existence des manifestations divines comme "la station de pure abstraction et d'unité essentielles". (25) Dans ce monde, les manifestations deviennent les canaux de la volonté divine. Ce sont les archanges dont parle la tradition mosaïque. A elles s'applique la formule "Il est lui-même et il est toi toi-même" (26). Baha'u'llah se réfère à ce monde par plusieurs expressions comme "le Royaume d'unité" (Wahidiyya), "le plus haut Paradis", "le Paradis de la Justice" ou "le monde des décrets divins" car dans ce monde n'existe que le décret (qada) de Dieu, et c'est par lui que la manifestation divine parle et agit. A travers elle le décret divin règne sur le monde, si bien que la parole de Dieu finisse toujours par prévaloir. Les décrets divins sont les lois spirituelles qui ne seront jamais changées. Elles constituent l'Ordre fondamental caché derrière la réalité de toutes choses; la source de tout savoir humain ou divin. Quiconque a accédé à la compréhension de ces lois est entré dans le Paradis et a saisi l'ultime réalité de l'Unité, car la véritable Unité c'est l'unité de volonté entre la créature et le créateur. Baha'u'llah parle également de ce monde comme le "Monde du Commandement" (27) ('alam al-amr certains philosophes ou orientalistes parlent du "monde de l'impératif"), car c'est par ce commandement que toutes les créatures (khalq) sont venues à l'existence. Le Monde du Commandement se distingue du "Monde de la créature", ou "monde créaturel" ('alam al-khalq), par le fait que l'un est le monde de la justice divine, comme on vient de le voir, alors que l'autre est le monde de la miséricorde; car, sans la miséricorde divine, les créatures, à cause de leur imperfection, ne pourraient subsister. Le Jabarut est également le monde du "Livre-mère" (umm al-kitab) (28) et de la "Tablette préservée" (29). Dans les deux cas, il s'agit d'expressions coraniques que l'on retrouve utilisées avec des sens nouveaux dans les Écrits de Baha'u'llah. Afin de comprendre le sens de ces expressions, il faut rappeler que, pour les musulmans, le Coran est un livre incréé. Il existe dans l'éternité de Dieu un prototype céleste du Livre qu'on appelle le "Livre-mère" gravé dans une table faite dans une substance inaltérable. L'ange Gabriel n'a fait que dicter le livre au prophète Muhammad qui l'a transmis aux hommes. La Tablette préservée représente également la table sur laquelle sont enregistrés les décrets divins. Baha'u'llah donne une interprétation différente de ces expressions. Le Livre-mère et la Tablette préservée représentent la quintessence de la révélation (wahy). Il s'agit de la science divine que les manifestations partagent avec Dieu dans le Jabarut. En effet, dans le Jabarut la révélation existe indépendamment de toute connaissance humaine, elle n'a donc pas besoin du vêtement des mots et ne se trouve pas soumise à la contingence qui caractérise le monde créaturel. Lorsque la Manifestation divine transmet la révélation aux hommes, elle lui donne une forme contingente qui est celle du langage humain, et c'est pour cette raison qu'on ne peut pas identifier totalement la révélation avec les Écrits des Manifestations, ainsi que Baha'u'llah l'indique clairement dans une de ses tablettes, car la révélation est transcendante et ne peut être captée par le langage dans sa plénitude. Le Livre-mère ne représente donc pas le prototype d'un livre quelconque, mais la matrice dont tous les livres révélés sont sortis, la science que Dieu partage avec ses Manifestations et qui est unique et commune à toutes les dispensations. La Tablette préservée, que Baha'u'llah appelle parfois la Table de Chrysolite, a un sens encore plus large. C'est sur cette tablette que sont inscrits les décrets divins (qada) et par conséquent la science du passé et de l'avenir. Elle est le symbole de l'omniscience des Manifestations divines comme de l'omnipotence de Dieu. En fait, l'omniscience des Manifestations découle de cette omnipotence, et omniscience et omnipotence doivent être considérées comme deux aspects d'une même réalité qui est la réalité du Jabarut. La Plume divine (qalam-i-ilahi) devient alors l'expression de cette omnipotence puisque c'est elle qui enregistre les décrets divins tout en étant en même temps le signe de l'omniscience puisqu'elle est le canal de la révélation. I.7. Le monde de Malakut Le monde du Malakut, qui se trouve au-dessous du Jabarut, est le royaume angélique des âmes auxquelles Dieu se révèle dans la splendeur de sa "manifestation la plus grande" (al-mazhar al-akbar) (30). Baha'u'llah nous a donné dans la "Tablette à Varqa" une description saisissante de ce monde. Il explique que le terme de Malakut recouvre deux significations. La première concerne la Manifestation et la seconde "le Monde imaginal" ('alam al-mithal) qui est un monde intermédiaire entre le Jabarut et le monde humain (Nasut), entre ce qui existe sur la terre et ce qui existe dans les cieux. Le Malakut constitue en fait une autre dimension de l'univers contingent ('alam al-mumkinat). C'est dans le Malakut que se trouve notre âme, car l'âme est une essence (jawhar) et elle ne peut jamais quitter le monde des essences. L'âme ne peut s'incarner dans la matière; elle ne peut que s'y refléter comme la lumière se reflète dans le miroir. C'est l'âme qui communique avec les mondes divins; par conséquent tout ce qui vient de ces mondes doit passer par le Malakut pour atteindre l'homme, ce qui explique le caractère d'intermédiaire de ce monde. Par exemple, explique Baha'u'llah, lorsque le Verbe de Dieu descend du monde de Lahut vers l'homme, il passe dans le monde du Jabarut où il est non manifesté, ce qui constitue, dit-il, la première étape de la "substantification" (taqyid) (31); car lorsque le Verbe descend au plan du Malakut, il confère aux bénéficiaires de son effusion la puissance qui vient des plans supérieurs. A bien des égards, le Malakut en tant que "Monde imaginal" a une certaine ressemblance avec le monde des idées platoniciennes. Baha'u'llah nous dit que le monde de l'homme (Nasut) n'est qu'une image métaphorique du Malakut. Le Malakut est la finalité de l'homme. C'est le monde spirituel par excellence, le Royaume d'Abhà, le monde des âmes, où, au-delà de la mort physique, l'homme poursuit son développement spirituel dans son voyage infini vers Dieu. Baha'u'llah nous dit que ce monde est lui-même hiérarchisé en fonction du degré de développement spirituel des âmes. Au sommet du Malakut se trouve "l'Arche céleste", "le navire rouge" sur lequel naviguent les âmes des prophètes, des martyrs et des saints qui forment "le Concours suprême" (Mala-i-A'la) (32), "la Milice angélique", "l'Assemblée céleste", prête à tout moment à venir au secours de ceux qui se lèvent pour soutenir la Cause de Dieu. I.8. Le Malakut comme monde métaphorique Lorsque l'homme, dans ce monde, poursuit son développement spirituel, il le fait à travers des actes tels qu'enseigner et transmettre la Foi, aider ses semblables, sacrifier son confort pour accomplir des tâches nobles et désintéressées, contribuer de ses biens aux oeuvres de la religion, augmenter son amour du prochain par des actes philanthropiques, développer sa compréhension spirituelle par la fréquentation des esprits purs et détachés ainsi que par la conversation et la lecture quotidienne de la parole divine, etc. Ces actions, nous dit Baha'u'llah, contribuent au développement spirituel de l'homme parce qu'elles sont la représentation symbolique, on pourrait dire "imaginale", des fonctions de l'âme dans le Malakut. Notre vie dans ce monde est une image métaphorique de ce que sera notre vie dans l'autre monde. L'homme dans ce monde exerce et développe ses fonctions spirituelles qui deviendront pour lui comme de nouveaux sens dans l'autre monde afin de lui permettre de mener une existence nouvelle conforme à la nature spirituelle de l'âme. Si l'âme échoue à développer dans ce monde ses qualités spirituelles, elle ne grandira pas et rentrera dans le Royaume de Dieu dans un état d'atrophie spirituelle qui rendra son existence dans le Malakut semblable à celle des aveugles et des sourds sur cette terre. Quant à ceux qui auront développé leurs qualités spirituelles, celles-ci deviendront pour eux de nouveaux sens par lesquels ils respireront "les brises célestes", écouteront de "divines mélodies", et contempleront des paysages qui les réjouiront au plus profond d'eux-mêmes. La qualité du monde de l'homme (Nasut) comme reflet ou image métaphorique du Malakut est illustrée par une anecdote que raconte 'Abdu'l-Baha dans son livre Souvenance des Sincères (Tadhkiratu'l-Vafa). Dans ce livre, il nous conte la vie et la mort de soixante quatorze des proches compagnons de Baha'u'llah. Au chapitre consacré à Mulla 'Ali-Akbar, qui fut nommé par Baha'u'llah "Main de la Cause de Dieu", et joua un très grand rôle dans la propagation de la Foi, il décrit un rêve qu'il eut plusieurs années après la mort de celui-ci: "Une nuit, il n'y a pas longtemps, je le vis dans le monde des rêves. Bien qu'il ait toujours eu une forte stature, dans ce monde des rêves il apparaissait encore plus large et corpulent. C'était comme s'il retournait de voyage. Je lui dis: "Jinab, vous êtes devenu fort et vigoureux." "Oui", répondit-il, "Loué soit Dieu, j'ai été en des lieux où l'air est frais et délicieux, l'eau pure comme le cristal, les paysages merveilleux à contempler et la nourriture délectable. Tout cela me convint bien sûr parfaitement. Aussi suis-je maintenant plus fort et j'ai retrouvé l'entrain de ma jeunesse. Le souffle du Miséricordieux passe sur moi et tout mon temps se passe à parler de la Cause de Dieu, à établir ses preuves et à enseigner sa Foi" (33). 'Abdu'l-Baha ajoute alors ce commentaire particulièrement significatif: "Enseigner la Foi dans le monde de l'Au-delà signifie répandre les douces saveurs de la sainteté; cette action est la même qu'enseigner." (34) Ce court texte nous apprend deux choses. La première c'est que les actions les plus importantes de notre vie terrestre telles que enseigner la cause, aimer son prochain, donner et recevoir, ont toutes une contrepartie dans le Malakut et doivent même plutôt être regardées comme l'expression symbolique de la vie de l'âme dans le Royaume divin. La seconde c'est que l'homme ne peut ni comprendre ni exprimer directement les réalités du monde spirituel. Tant qu'il est prisonnier de ce monde-ci son intelligence ne peut s'élever jusqu'à la compréhension de ces réalités, ni le langage les décrire. Il peut, tout au plus en avoir une vague intuition. Le langage poétique est la seule façon de suppléer à cette impossibilité communicationnelle, et le recours à des métaphores basées sur le monde sensible devient inévitable. Cependant, ces métaphores ne sont pas de simples artifices poétiques. Elles contiennent une part de vérité qui dépasse la limitation des mots. Ainsi, dans ce texte d''Abdu'l-Baha il faut bien entendre que les plaisirs de nos sens tels que respirer un parfum, contempler un paysage, savourer un met délicat, sont une image terrestre de la vie de l'âme dans le Malakut. Aller au delà dans la compréhension de ce mystère paraît impossible. Néanmoins, pour ceux qui possèdent la compréhension spirituelle, méditer sur ce monde permet de parvenir à la compréhension du monde spirituel. I.9. L'unité des mondes divins Les rapports qui existent entre ce monde et les mondes spirituels est un thème très riche. Tous les grands mystiques ont pressenti cette ressemblance et déjà dans les écrits attribués à Hermès on lit: "Le monde d'en-bas est l'image du monde d'en-haut". Baha'u'llah nous explique que le monde d'ici-bas (Nasut) et le Malakut ne sont pas deux mondes totalement séparés mais font tous deux partie d'un monde plus vaste, qu'il appelle "le monde de la création" ('alam-i-khalq) ou "le monde contingent" ('alam-i-mumkinat), c'est pour cela qu'ils sont gouvernés par les mêmes lois. Dans une tablette adressée à un croyant nommé Yusuf-i-Isfahani (35), Baha'u'llah explique que tous les mondes divins tournent autour de ce monde. Il dit que pour cette raison, l'âme qui dans ce monde s'est toujours comportée selon la volonté de Dieu et selon son commandement, après son départ pour l'autre monde, montrera des qualités qui n'étaient avant que potentielles, et il ajoute même que dans chaque monde il existe pour chaque âme un état qui lui a été préalablement assigné. De même, 'Abdu'l-Baha écrit dans l'une de ses tablettes : "Les âmes qui sont pures et immaculées, après la dissolution de leurs structures élémentaires, se hâtent vers le monde divin, et ce monde-là est à l'intérieur de notre monde. Les habitants de ce monde, toutefois, sont ignorants de cet autre monde, et pareil aux minéraux et aux végétaux qui ne savent rien du monde animal et du monde de l'homme". (36) C'est cette interdépendance entre tous les mondes divins qui expliquent que les lois spirituelles gouvernent l'ensemble de ces mondes en prenant des formes différentes adaptées à la nécessité de chacun d'eux. La similitude entre "le monde d'en-haut" et "le monde d'en-bas" est connue depuis la plus haute antiquité. Mais chaque religion, chaque tradition, a développé ses thèmes de prédilection. Les Écrits baha'is suggèrent que méditer sur les réalités physiques de ce monde peut être un moyen de comprendre les réalités spirituelles de l'autre monde, à condition de ne jamais perdre de vue la Révélation et de se laisser guider par elle. Si le monde de la création reflète les lois spirituelles, ce n'est pas seulement en raison de l'unité du monde physique et du monde spirituel, mais parce que le monde étant une émanation divine, le moindre atome a la capacité de refléter les attributs divins. Dans "Les Paroles du Paradis" (Kalimat-i-Firdawsiyyih) Baha'u'llah écrit: "Chaque être créé révèle ses signes, qui ne sont rien d'autres que des émanations de Lui et non pas son Être propre. Tous ces signes sont reflétés et peuvent être contemplés dans le livre de l'existence, et le parchemin qui décrit les formes et les structures de l'univers est en vérité un des plus grands livres". (37) Les mondes spirituels étant au-delà du langage, seule la métaphore peut nous permettre de les approcher. Lorsqu'on lit la littérature baha'ie, on s'aperçoit ainsi qu'il y a un certain nombre de thèmes récurrents. Un de ces thèmes est la similitude que l'on trouve entre l'embryon dans le sein de sa mère et la vie terrestre. Quand il est dans le sein de sa mère, l'embryon peut croire que c'est le seul monde qui existe. Il n'a pas conscience du monde qui existe au-delà de la membrane utérine. Il n'a pas même conscience de sa mère. Dans le monde physique, nous sommes dans la même situation que l'embryon dans le monde utérin. Nous sommes enclins à nous en remettre à nos sens et à croire que ce monde-ci est le seul monde qui existe, alors que la distance qui sépare ce monde-ci des mondes spirituels est encore plus infime que la membrane utérine. De plus, la situation de ce monde par rapport aux mondes spirituels, est la même que la situation du monde utérin par rapport au monde physique. Le monde physique entoure de toute part la matrice dans laquelle vit l'embryon; et dans la réalité, la matrice et l'embryon font eux-mêmes partie, sans le savoir, du monde physique. De même, le monde spirituel entoure le monde physique comme le monde physique entoure la matrice, et il existe entre eux la même relation. C'est pour cela qu'en réalité le monde physique et le monde spirituel ne forment qu'un monde unique. Alors que la matrice est étroite et confinée, en comparaison, les étendues du monde physique peuvent paraître infinies. La relation est la même avec les mondes spirituels; en comparaison avec eux, ce monde-ci est aussi étroit et confiné que le monde utérin, alors qu'eux paraissent infinis. Par ailleurs, on peut constater que le monde utérin est gouverné par les mêmes lois que le monde physique, même si ces lois ne s'y manifestent pas de la même façon. De même, le monde physique est gouverné par les mêmes lois que le monde spirituel, car le monde physique n'est qu'une infime partie d'un système beaucoup plus vaste qui est le "Monde de la Création" et qui inclut également le monde spirituel. Le monde physique est autant intégré dans le monde spirituel que le monde utérin dans le monde physique. Les rapports que l'on peut établir entre le monde utérin et le monde physique ne s'arrêtent pas là, mais concernent également le développement de l'âme que l'on peut comparer au développement de l'embryon. Dans le monde utérin, l'embryon naît de la fécondation d'un ovule. A partir de ce moment, la cellule primordiale commence à se multiplier et à se diversifier; ainsi l'embryon prend forme. Dès le moment de la fécondation on peut savoir que la gestation ne dépassera pas neuf mois. Au bout de ces neufs mois, l'embryon aura atteint la perfection; c'est-à-dire qu'il aura épuisé toutes ses possibilités de développement dans le monde utérin. Son développement ne pourra plus se poursuivre dans ce monde, mais exigera qu'il soit transféré dans un autre monde où il commencera un nouveau cycle de croissance. Ainsi est déclenchée la naissance qui aboutit à son passage d'un monde dans l'autre. De la même façon, le processus de développement de l'homme dans ce monde a un terme marqué à l'avance qui est la mort physique. Si l'homme restait éternellement dans ce monde il ne ferait plus aucun progrès spirituel et il aurait épuisé depuis longtemps toutes les potentialités de son développement. Parfois l'enfant naît avant terme. L'enfant passe alors par une phase critique où il est fragile et doit recevoir une attention particulière. Néanmoins, passé cette phase critique, l'enfant continue son développement normalement. C'est ce qui arrive aux âmes des hommes prématurément décédés. Certaines quittent ce monde parce qu'elles ont évolué plus rapidement que les autres et qu'elles sont parvenues plus rapidement à maturité (38). D'autres quittent prématurément ce monde car, bien qu'elles ne soient pas au terme de leur développement spirituel, au lieu d'être un moyen et un instrument de ce développement, le monde est devenu au contraire un obstacle. (39) Dans le sein de sa mère, l'embryon croît et se développe. Il grandit en taille et au fur et à mesure de sa croissance, les cellules se diversifient et de nouveaux organes apparaissent. Certains biologistes pensent même que l'embryon passe par toutes les étapes de la morphogenèse, c'est-à-dire qu'il récapitule toute l'évolution de la vie sur terre. Pourtant les organes qu'il développe dans le monde utérin, ne lui sont encore d'aucune utilité. Il n'a pas besoin de ses yeux pour voir, ni de ses oreilles pour entendre, ni de ses jambes pour marcher. Tous ces organes ne lui seront utiles qu'après la naissance quand il sera dans ce monde. De même, au cours de cette vie terrestre, nous devons développer nos qualités spirituelles. Le monde physique étant déjà un monde plus évolué que le monde utérin, ces qualités peuvent déjà recevoir un début d'application. Cependant, certains pourraient croire que l'on peut très bien vivre dans ce monde sans se soucier de notre développement spirituel. Mais les Écrits baha'is expliquent que dans l'autre monde ces qualités spirituelles deviendront comme les yeux et les oreilles dans ce monde. Ceux qui auront failli à développer leurs qualités spirituelles seront dans le monde spirituel comme les aveugles, les sourds et cul de jattes de ce monde. 'Abdu'l-Baha a développé ce thème dans beaucoup de ses tablettes et de ses discours (40). Dans une autre de ses tablettes en persan (41) il explique que tant que l'embryon se trouve dans le sein de sa mère ses défauts et ses imperfections physiques sont cachés, car ceux-ci ne deviennent manifestes qu'après la naissance. De même, dans une large mesure, nos défauts et nos imperfections spirituelles ne sont pas apparentes dans ce monde, mais lorsque nous entrerons dans l'autre monde alors ils deviendront à leur tour évidents et manifestes (42). L'enfant dans le monde utérin ne peut s'imaginer ce que voir, sentir ou parler signifie, car ce sont des fonctions qui appartiennent au monde physique, non au monde utérin. De même, tant que nous sommes dans ce monde, nous ne pouvons nous imaginer ce que peut représenter l'éveil de nos sens spirituels dans l'autre monde (43). Mais si nous réfléchissons, nous pouvons essayer de pousser plus loin cette métaphore pour essayer d'en percer le sens. Si un enfant naît sans la capacité de voir, sentir, parler ou marcher on dit que cet enfant est handicapé. Or, qu'est-ce qu'un handicap si ce n'est l'impossibilité de jouir de certaines caractéristiques du monde physique dont l'homme tire un plaisir particulier. Ce qui nous fait aimer la vie c'est la beauté du monde qui nous entoure et les plaisirs que nos sens sont capables d'en tirer. Imaginer la vie d'un homme qui serait incapable de communiquer avec le monde qui l'entoure par ses sens, ce serait le ramener à une existence purement végétative dont beaucoup seraient prêts à dire qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécue. Cela serait ramener l'existence de l'homme au niveau du protozoaire, car si un tel enfant venait au monde, son intelligence même ne pourrait se réveiller. Faillir donc à développer nos qualités spirituelles nous ramène dans l'autre monde au niveau de l'handicapé physique. Nos qualités spirituelles deviennent des sens spirituels et si ces sens ne fonctionnent pas, alors nous serons privés de la jouissance de certains aspects du monde spirituel. Il existe dans l'autre monde quelque chose qui correspond aux sensations telles que la vue, l'ouïe, le goût ou le toucher, et ces sensations spirituelles correspondent aux différentes caractéristiques de ce monde. Faillir dans notre développement nous privera de la jouissance de ces caractéristiques que l'homme ne peut imaginer. C'est pour cela que dans la même tablette déjà citée plus haut, 'Abdu'l-Baha déclare que la vie humaine peut être comparée à un arbre et que la béatitude ou l'enfer (métaphorique) sont du domaine du fruit (44). C'est l'arbre qui est responsable des fruits qu'il produit. Le paradis et l'enfer sont en nous-mêmes. Ce sont des états spirituels. 'Abdu'l-Baha ajoute que les hommes qui nient l'existence des mondes spirituels sont dans la même position que le minéral qui nierait l'existence du monde végétal, ou le monde végétal qui nierait l'existence du monde animal pour la simple raison que sa propre organisation interne ne lui apporte aucune information sur ces mondes (45). Dans la réalité le monde de l'existence est un monde unique (46). Un autre thème que l'on rencontre dans les Ecrits baha'is est la similitude des lois qui gouvernent la croissance d'un arbre avec celles qui gouvernent le développement spirituel de l'homme (47). L'image de l'arbre nous montre l'interdépendance qui existe entre les différents mondes divins. L'arbre appartient au monde végétal, pourtant il tire toute sa substance du monde minéral, c'est-à-dire du monde inférieur. Ceci explique pourquoi Dieu n'a pas voulu que l'homme fut un pur esprit, ou pourquoi il ne l'a pas créé spirituellement parfait, et qu'il lui a assigné ce séjour mortel pour débuter son processus de développement spirituel. Le monde matériel est le monde dans lequel l'homme plonge ses racines comme l'arbre plonge ses racines dans la terre. L'homme a besoin du monde matériel pour substanter son développement; sans lui il ne pourrait croître et grandir. De même que le monde végétal est bâti sur le monde minéral et le monde animal sur le monde végétal, de même le monde spirituel est bâti sur le monde humain (nasut). De ce fait, chacun des mondes supérieurs embrasse tous les mondes inférieurs et tous sont interdépendants comme nous le voyons dans les différents règnes de la nature. Si cependant la nature de l'arbre est de plonger ses racines dans le sol pour y puiser sa subsistance, alors, si un arbre choisissait d'enfouir ses branches dans le sol, il se condamnerait à dépérir et à pourrir. Sa véritable nature le pousse à élever ses branches vers le ciel dans la direction opposée de la terre. Pour l'homme, l'équivalent de cette loi, c'est la loi du détachement. Bien que le monde matériel soit là pour pourvoir aux besoins de son développement spirituel, néanmoins, il ne peut parvenir à ce développement qu'en se détachant des choses de ce monde. C'est pour cela que sans le détachement il n'y a pas de développement spirituel possible. La nature de l'homme est spirituelle, elle l'attire vers le monde spirituel comme les branches de l'arbre sont attirées par le ciel. Si l'arbre dirige ses branches vers le ciel, c'est parce qu'il est attiré par la lumière du soleil. De même l'homme est attiré par la lumière du soleil de la Manifestation divine et c'est cette lumière qui conditionne son développement spirituel. La lumière du soleil permet à l'arbre de produire des feuilles, puis des fleurs et des fruits. De même la lumière du soleil de la manifestation permet à l'homme de développer ses qualités spirituelles et produise de bonnes actions. Si maintenant nous considérons une forêt, nous y trouvons des arbres de toutes tailles. Certains sont immenses et s'élèvent jusqu'au faîte de la forêt. Ceux-là sont directement en contact avec le soleil. Puis il y a des arbres qui vivent dans leur ombre. Mais en dernière analyse, tous les arbres, même ceux qui ne reçoivent jamais directement la lumière du soleil vivent par cette lumière. Il existe même des plantes parasites comme les lianes, le lierre ou le gui, qui malgré leur faiblesse propre se servent des autres arbres pour atteindre la lumière. La vie humaine est faite de la même façon. Il y a des hommes qui vivent directement de la lumière de la Manifestation et ceux qui ne voient jamais cette lumière. Mais dans les deux cas c'est toujours la lumière de la Manifestation qui est la cause de leur existence et de leur développement spirituel. C'est pourquoi la voie du développement spirituel n'est jamais totalement fermée, même à ceux qui ne connaissent pas Dieu ou sa manifestation. Cet exemple nous montre qu'une des choses qui assure l'unité de tout le monde créaturel c'est non seulement que tous les mondes sont interdépendants comme nous l'avons vu, mais également qu'ils n'existent que par le souffle de l'Esprit-saint transmis à travers la Manifestation divine. Rien n'existerait sans cette lumière qui est la cause de l'existence de tout ce qui existe. On pourrait broder à l'infini sur le thème des similitudes entre les lois du monde physique et du monde spirituel. On en trouve de multiples exemples dans les Ecrits de Baha'u'llah et d''Abdu'l-Baha. Mais l'important c'est de pouvoir comprendre les raisons profondes de cette similitude. Le reste est une question d'intuition qui peut nourrir nos méditations personnelles. Le but n'est pas de diversifier les exemples mais de comprendre l'unité fondamentale de l'univers et de ses lois. 'Abdu'l-Baha ne dit -il pas lui-même que la gravité universelle est un exemple de la Loi d'amour qui est la loi fondamentale de la création et de tous les mondes divins. Ces quelques réflexions nous permettent d'entrevoir que le caractère métaphorique du monde physique par rapport au monde spirituel n'est pas dû à un simple jeu de miroirs, comme si le monde physique était l'image du ciel reflétée par l'eau d'un lac. Cette relation métaphorique est l'expression de quelque chose de beaucoup plus profond qui vient de l'unité de la création de Dieu; unité qui embrasse aussi bien le monde physique que spirituel, sensible qu'intelligible. I.10. Le continuum infini des mondes divins Tout ce que nous venons de dire sur les différends mondes divins implique évidemment que lorsque Baha'u'llah se réfère à ces mondes, son explication est forcément limitée par le langage humain et par notre compréhension. Il ne s'agit que d'une infime lueur sans doute bien éloignée de la réalité. Les mondes divins forment un continuum infini. Toute tentative pour établir entre eux des distinctions n'est qu'une création de l'esprit humain basée sur des critères arbitraires, comme sont arbitraires par exemple les critères qui nous permettent de distinguer les couleurs du spectre chromatique, car, comme chacun sait, on passe d'une couleur à l'autre de manière imperceptible. Néanmoins, les diverses définitions que donne Baha'u'llah des mondes divins fournissent une clef précieuse pour la compréhension de ses écrits. Il arrive souvent qu'en lisant ses écrits on est conduit à demander qui est celui qui parle. Dans un même texte Baha'u'llah peut utiliser plusieurs niveaux de langage. Parfois il parle comme s'il était un homme, parfois comme s'il était la divinité personnifiée. Parfois il met en scène des entités distinctes comme le rossignol, la colombe, la plume céleste, etc. Parfois ses écrits se présentent comme un dialogue entre plusieurs voix, comme dans la Tablette du feu. Ces différents niveaux de langage représentent les différents aspects de la manifestation divine considérée sur des plans différents tels que les mondes de Lahut, Jabarut et Malakut. Cette hiérarchie des mondes spirituels ne trouve son importance ni par rapport à une théologie créationiste, ni par rapport à l'existence de l'homme, comme dans la philosophie musulmane ou comme chez certains auteurs chrétiens tel que le Pseudo-Denis l'Aéropagite (48). Son intention est d'expliquer la relation de Dieu avec sa manifestation et par voie de conséquence entre sa manifestation et l'homme. Pour bien en comprendre la pensée sous-jacente il faut abandonner les vieux modes de pensée de la philosophie musulmane ou de la scolastique chrétienne, et ne pas se laisser abuser par les allures néoplatoniciennes de ces mondes spirituels. Si Baha'u'llah utilise un vocabulaire néoplatonicien c'est parce que c'est le vocabulaire en usage chez les philosophes musulmans de son époque, et peut-être aussi parce que toute philosophie spirituelle basée sur un message révélé a forcément un aspect néoplatonicien. Nous reviendrons sur ces problèmes dans la troisième partie de cet essai. I.11. La Tablette de Haqqu'n-Nas Baha'u'llah a consacré toute une tablette (49), qu'on appelle parfois La Tablette de Haqqu'n-Nas, à expliquer le caractère métaphorique de ce monde. Nous ne connaissons malheureusement pas les circonstances de la révélation de cette tablette. Celle-ci fut écrite en réponse à la lettre d'un correspondant que Baha'u'llah appelle "Ami de mon coeur" et qui vraisemblablement s'était adressé à lui pour demander des réponses à toute une série de questions. Le problème principal qui est soulevé est un point particulièrement abscon de théologie musulmane : comment est-il possible, comme l'enseigne la tradition, que nous puissions nous acquitter de nos dettes après notre mort dans l'autre monde? C'est le principe que la théologie musulmane appelle "haqqu'n-Nas", c'est-à-dire littéralement le principe du "droit des gens". Celui-ci affirme qu'il y a dans l'autre monde compensation de nos dettes ainsi que de tout ce qui a été volé ou usurpé. Bien entendu, dans un contexte baha'i cette question n'a pas de sens, et c'est ce que Baha'u'llah s'efforcera de faire comprendre à son interlocuteur. Cette question reflète néanmoins les mentalités de l'époque. Les théologiens et juristes étaient friands de ce genre de problèmes qui donnaient lieu à de longs débats contradictoires suscitant de multiples interprétations où sont systématiquement envisagés tous les cas de figure jusqu'aux plus absurdes. Baha'u'llah cite lui-même en exemple un de ces cas de casuistique particulièrement absurde (50) qui n'est pas sans rappeler la question que posèrent les sadducéens à Jésus sur le statut, au jour de la résurrection, d'une veuve qui aurait épouser successivement les six frères de son premier époux. C'est ici la même veine qui s'exprime. Le problème est posé dans les termes suivant: Imaginons un chrétien qui emprunte à un autre chrétien une jarre de vin et un morceau de viande de porc; deux choses qui sont permises dans le Christianisme mais interdites dans l'Islam. Après un certain temps le débiteur et le créancier deviennent tous deux musulmans. Comment le débiteur fera-t-il pour s'acquitter de sa dette puisque non seulement les musulmans ne peuvent consommer ni vin ni viande de porc, mais encore ils ne peuvent en faire commerce, et il lui est donc impossible de dédommager le créancier avec de l'argent. Qu'en sera-t-il alors dans l'autre monde si la dette ne peut être éteinte? La société persane du XIXème siècle raffolait de ce genre de problèmes (51). Baha'u'llah fait ici une réponse très comparable à celle que Jésus fit aux sadducéens: "Ceux qui appartiennent à ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari. C'est qu'ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils à des anges..." (52) Il en va de même de toutes les affaires de ce monde, car la vie future est totalement différente de notre vie terrestre. Baha'u'llah commence par répondre que pour comprendre ce problème, il faut avoir un coeur détaché et un entendement purifié des superstitions communes afin de parvenir à la véritable compréhension de ce qu'est la vie après la mort et la résurrection. Il poursuit en expliquant que tout ce qui existe dans le monde de Nasut, qu'il appelle également "monde des limitations" ('alam-i-hudud), quelqu'en soit le nom (ism), la forme (rasm), l'apparence (surat) ou les caractéristiques (vasf), existe dans les mondes divins sous une apparence (shuhudi) et une manifestation (zuhuri) qui est propre à chacun de ces mondes. Les choses qui existent dans les mondes spirituels existent donc dans ces mondes avec des caractéristiques totalement différentes de celles du monde d'ici-bas, de telle sorte qu'aucune catégorie de notre entendement tel que le lieu, l'étendue, la forme ou le temps ne peut s'y appliquer (53). Ce que suggère Baha'u'llah est ici très différent de ce qu'affirmait la philosophie musulmane, et en particulier la philosophie ishraqie ou shaykhie de son époque. Pour la philosophie ishraqie à chaque chose de ce monde est attachée une réalité intelligible (haqa'iq) qui existe dans le Malakut ou dans le monde imaginal. C'est donc ce monde-ci qui est le miroir de l'autre monde, un peu comme dans le mythe de la Caverne de Platon. Mais pour Baha'u'llah ce ne sont pas seulement le monde du Malakut et le monde du Nasut qui sont l'image l'un de l'autre, mais une pluralité de mondes qu'il qualifie de divins (ilahi). A plusieurs endroits il insiste sur cette pluralité en parlant de mondes innombrables (54). La mort dans ce monde n'est donc que la disparition des formes et des apparences. Elle n'atteint jamais la "réalité" (haqiqat) et l'essence (dhat) des êtres, car la réalité spirituelle (haqa'iq) des choses existe dans chaque monde avec une manifestation adaptée à chacun de ces mondes correspondant à des degrés de réalités différentes, c'est-à-dire en fait à des plans ontologiques différents (55). Ceci explique que tout ce que l'homme fait dans ce bas-monde affecte sa "réalité essentielle" dans l'autre monde. Ainsi les actes et les paroles subsistent d'un monde à l'autre (56), et chacun trouve sa rétribution dans le Malakut. Non pas qu'il existe un Dieu vengeur qui nous juge et nous condamne, mais parce que les conséquences de nos actes nous suivent jusque dans l'autre monde. Dieu n'intervient que pour pardonner le pécheur et l'aider à surmonter le handicap qu'il a créé pour lui-même. Baha'u'llah poursuit ensuite en expliquant que si nous voulons comprendre la façon dont la réalité des choses se manifeste dans les mondes infinis, cela dépasse les capacités de notre intelligence, et la seule façon de nous approcher de cette compréhension c'est d'utiliser des images métaphoriques. Or, dit-il, la meilleure image que nous pouvons trouver est celle du sommeil parce que le sommeil est pareil à la mort; il en est même si proche, qu'on peut dire que le sommeil et la mort sont deux frères. Il nous arrive parfois de rêver et de voir en rêve des choses qui sont inintelligibles et sans rapport avec notre vie. Pourtant, si nous demandons l'interprétation de ces rêves à un spécialiste, celui-ci nous expliquera que les choses que nous avons vues dans notre rêve sont les représentations symboliques d'autres choses, et une fois que nous avons compris la clef de cette interprétation et la correspondance entre le symbole et la réalité, nous voyons que les choses que nous avons vues en rêve correspondent à des situations réelles de notre vie. La seule différence, dans ce cas, entre le monde du sommeil et le monde de l'éveil c'est que ces choses apparaissent sous une forme dans le monde du sommeil et sous une autre dans le monde de l'éveil. Le monde après la mort, c'est-à-dire le Malakut ou le Royaume d'Abha, se présente de la même façon. Les choses que nous voyons dans ce monde peuvent également se réaliser dans l'autre monde, mais sous une autre forme qui peut être aussi éloignée de la réalité de ce bas-monde que le langage métaphorique de nos rêves. Dans une autre tablette, Baha'u'llah explique qu'on ne peut comprendre le caractère métaphorique de ce bas-monde par rapport aux mondes spirituels sans comprendre la nature de l'âme. Il dit en parlant de l'âme qu'"elle atteste, par elle-même, à la fois la réalité d'un monde qui est contingent, relatif et la réalité d'un monde qui n'a ni commencement ni fin" (57). C'est l'absence de toute référence spatiale et temporelle des mondes spirituels qui fait que ceux-ci sont si différents de notre monde, et finalement échappe à notre compréhension. C'est pour cette raison qu'on peut faire une comparaison entre le monde des rêves et le monde spirituel au-delà de la mort, parce que le rêve est la seule expérience que l'homme peut faire dans ce monde d'un affranchissement de l'espace et du temps. Baha'u'llah écrit: "Admire comme tes rêves se réalisent sous tes yeux de longues années après que tu les as eus. Considère l'étrangeté du mystère de ce monde qui t'est apparu dans tes rêves" (58). Dans la Tablette de Haqqu'n-Nas, Baha'u'llah poursuit en citant l'exemple du rêve de Joseph. Celui-ci a rêvé que le soleil, la lune et douze étoiles se prosternaient devant lui. Ce rêve annonçait l'ascension prochaine de Joseph aux fonctions de premier ministre du Pharaon d'Egypte et à la venue de sa famille qui se présenterait devant lui sans le reconnaître. Baha'u'llah souligne combien le monde des rêves est étrange pour que dans celui-ci le père et la mère apparaissent sous la forme du soleil et de la lune, et les frères sous forme d'étoiles (59). Cela montre à quel point les formes et les représentations de ce monde sont éloignées des formes et représentations du monde de l'éveil. La différence entre le monde d'ici-bas et le monde de la mort, dit il, est du même ordre. Pour expliquer le lien métaphorique qui lie le changement des formes d'un monde à l'autre, Baha'u'llah utilise un autre exemple. Imaginons qu'au printemps un homme puissant dépouille un homme faible de sa provision de semences et qu'il plante ces semences dans son propre jardin. Les semences germent et en été produisent des plantes, des arbres et des fruits. Puis, survient un roi juste décidé à redresser le tort qui a été fait au faible. De quelle manière ce roi juste doit-il procéder? Doit-il exiger de l'oppresseur qu'il restitue la même quantité de semences? Au temps de la moisson les semences ne sont plus d'aucune utilité. Ou doit-il rendre à celui qui a été spolié le produit des semences qui lui ont été volées? On comprend immédiatement que la justice exige qu'on rende au sage non pas les semences mais ce qu'elles ont produit. Les semences ont changé de forme, elles se sont transformées en quelque chose d'autre dont l'apparence et les qualités n'ont plus rien à voir avec leur apparence et leurs qualités premières. Le rapport entre ce monde-ci et l'autre monde est de même nature, et de même nature est le rapport entre la justice qui lie les deux. Ici-bas les choses n'existent qu'à l'état de semence. Quand elles évoluent dans les mondes divins, elles se transforment complètement et changent de formes, d'apparences et de qualités. Néanmoins, les qualités de l'arbre et du fruit dépendent des qualités de la graine qui les a produites. Baha'u'llah poursuit par une disgression d'ordre moral et non plus métaphysique. Finalement, peu importe ce que dans cette vie nous perdons. Tantôt les biens de ce monde se présentent sous forme d'épreuves et de calamités pour nous, tantôt ce sont les épreuves et les calamités qui se présentent sous forme de richesses. Au bout du compte, le fait que nous ayons perdu ces biens pour des raisons spirituelles, c'est-à-dire si nous les avons offerts à Dieu par esprit de détachement, ou que nous les ayons perdus à cause de l'oppression des hommes, ne fait aucune différence. L'homme qui dépouille un autre homme de sa richesse lui enlève une part des épreuves qui pèsent sur ses épaules. C'est pour Baha'u'llah une manière subtile d'expliquer que le principe du Haqqu'n-Nas ne peut s'appliquer aux biens matériels. On ne peut dans l'autre monde payer ces dettes matérielles, mais celui qui injustement s'est emparé du bien d'autrui pour accroître ses richesses n'a fait qu'accroître les obstacles à son propre développement spirituel car, immanquablement, les conséquences de nos actes nous suivent d'un monde à l'autre. I.12. Caractère herméneutique de la nomenclature des mondes divins Ce premier chapitre nous a permis de cerner la notion de monde divin dans la Tablette de toutes les nourritures et de présenter une sorte de synthèse de ce qu'on trouve sur ces mondes à travers l'ensemble des Écrits de Baha'u'llah. Nous n'avons cependant pas précisé le statut de cette nomenclature et son rapport avec la métaphysique de Baha'u'llah; cela fera l'objet des chapitres suivants. En effet, le lecteur qui lit les Écrits de Baha'u'llah aurait tort de s'arrêter aux apparences et de croire que Baha'u'llah dans la Tablette de toutes les nourritures a voulu exprimer sa conception métaphysique des mondes divins. Si tel était le cas, il n'y aurait pas beaucoup de différences entre la métaphysique baha'ie et la métaphysique musulmane. Nous verrons par la suite que le système métaphysique de Baha'u'llah ne comporte que trois mondes: le Monde de l'Essence divine, le Monde de la Révélation, le Monde de la Création. Le problème qui se pose est donc de relier ce système métaphysique à la nomenclature des mondes divins telle qu'on la trouve dans la Tablette de toutes les nourritures, et avec des variantes significatives dans d'autres Ecrits. La réponse est bien sûr que le système exposé dans la Tablette de toutes les nourritures n'est pas un système métaphysique prétendant décrire une réalité objective et indépendante, mais un schéma herméneutique dont la finalité est avant tout exégétique et théosophique. C'est ce que souligne Baha'u'llah lui-même lorsqu'il dit que le mot "nourriture" a un sens dans chacun des quatre mondes qu'il cite. Il s'agit d'un très bel exemple de cette herméneutique spirituelle (ta'wil) que Baha'u'llah pratique dans nombre de ses Écrits, et en particulier dans le Livre de la Certitude. Ceci ne veut cependant pas dire qu'il n'existe pas de lien entre ce système herméneutique et le système métaphysique de Baha'u'llah. Les points de passage sont au contraire nombreux. C'est que la métaphysique de Baha'u'llah n'est pas une métaphysique dogmatique. Elle part du principe que la réalité fondamentale de l'univers se trouve au-delà du langage. Toute tentative pour la décrire ne peut donc être qu'une tentative incomplète et partielle. Plusieurs points de vue complémentaires peuvent être nécessaires. Dans la suite de notre étude nous commencerons par privilégier le point de vue "archéologique", c'est-à-dire que nous retracerons toute l'histoire de l'évolution des concepts pour montrer comment Baha'u'llah a recueilli et utilisé cet héritage historique. Nous montrerons ensuite que lorsque Baha'u'llah se réfère à la tradition philosophique, c'est souvent pour voiler l'audace de sa pensée. En réalité, les conceptions que Baha'u'llah développe sur les mondes divins, sur le déploiement de l'Être et sur l'existence d'êtres ou de "réalités" sprirituelles sont presque sans rapport avec les développements métaphysiques de l'Islam sur les mêmes sujets.
Notes (1) C'est à dire les dix huit premiers disciples du Bab. (2) Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, éd. fr. 1970, p. 147 Shoghi Effendi (1896-1957), était l'arrière petit-fils de Baha'u'llah.'Abdu'l-Baha, fils ainé de Baha'u'llah, désigné par son père comme exemple parfait de ses enseignements et comme son seul et unique interpréte désigna Shoghi Effendi dans son testament comme "Gardien de la Foi" (Vali Amru'llah) et lui legua sa fonction d'interpréte unique des Ecrits de baha'u'llah. Shoghi Effendi exerça ses fonction de Gardien, de la mort d'Abdu'l-Baha en 1921 à sa propre mort en 1957. Il n'a pas eu de successeur. Shoghi Effendi nous a lui-même légué un vaste corpus dont plusieurs dizaines de milliers de lettres dans lesquelles il a répondu aux questions que posaient les croyants sur les textes de son arrière grand-père, et plusieurs ouvrages parmis lesquels "Dieu passe près de nous" qui est une histoire des mouvements babis et baha'is de 1844 à 1944. (3) ibid, p. 148 (4) ibid., p. 148. (5) Coran, 3. 92. Le but de notre étude des versets du Coran étant essentiellement linguistique, tous les versets cités dans cet essai ont été retraduits par nos soins pour cerner de plus prêt le contexte afin de n'avoir pas à utiliser quatre ou cinq traductions différentes. (6) Ma'idiy-i-Asimani, tome IV, pp. 265-276. Nous abrègerons le titre par la suite en "Ma'idih". (7) "Celui que Dieu manifestera" (Man Yuzhiruhu'llah) était le titre par lequel le Bab désignait celui qu'il était chargé d'annoncer. (8) cf. Adib Taherzadeh, The Revelation of Baha'u'llah, Oxford, 1974, tome I, pp. 55-60. (9 ) Ma'idih, tome IV pp. 265-266. (10) ibid. p. 265. (11) ibid. p. 266. (12) ibid. p. 269. (13) Extrait des Ecrits de Baha'u'llah, LXXVIII p. 140, Nous citerons par la suite ce livre par les initiales E.E.B. suivies du numéro de l'extrait en chiffre romain et le numéro de la page de l'édition belge de 1949. (14) ibid. p. 140. (15) Ma'idih, tome IV, p. 269. (16) 'Abdu'l-Baha (1844-1921) était le fils ainé de Baha'u'llah. Agé de neuf ans au moment du premier éxil de Baha'u'llah, il suivra toujours son père qui de son vivant le désigna comme "la plus grande branche" (Ghusn-i-a'zam) issu de son arbre et le désigna comme chef de sa maison. C'est de cette époque que date l'habitude de l'appeler "le Maître" (Agha). Dans son testament, Baha'u'llah le désigne comme "le centre de son alliance" (markaz-i-mithaq) avec les hommes et le seul et unique interprète de ses écrits. 'Abdu'l-Baha assurera la direction de la communauté baha'ie à la mort de Baha'u'llah en 1892. Il restera cependant prisonnier de l'empire ottoman jusqu'en 1910. Dès sa mise en liberté, il entreprendra la propagation du message de son père par des voyages en Egypte, puis en Europe et en Amérique du nord jusqu'au début de la première guerre mondiale dont il avait prédit le déclenchement. Il fit deux long séjour à Paris en 1911 et 1913. 'Abdu'l-Baha nous a légué de nombreux écrits dont de nombreuses "Tablettes". cf. M.-M. Balyuzi, 'Abdu'l-Baha : The Center of the Covenant of Baha'u'llah, Londres 1971 et S. Le Maître, Une grande figure de l'unité Abdu'l-Baha, Paris 1952. (17) Makatib-i-'Abdu'l-Baha, abrégé par la suite en "Makatib", tome II, p. 7. (18) ibid. p. 8. (19) L'expression shu'unat-i-dhatiyyih est une expression arabo-persanne reprennant le concept de "raisons séminales" emprunté au stoïcisme grec. (20) ibid. P. 9. (21) E.E.B., XXI, p. 47. (22) Ma'idih, tome IV p. 269. (23) cf. par exemple E.E.B., XLII, p. 85. (24) Longue prière obligatoire in Livre de Prière, éd. 1973 p. 94. Cf. Abwab al-Malakut, éd. Beyrout, p.4. Le texte arabe dit: Wa innahu huwa'l-sirru'l-maknunu wa'l-razmu'l-makhzunu aladhi bihi iqtarana'l-kafa bi-ruknihi'l-nun. (25) E.E.B., XII, p. 48. Le texte anglais de la traduction de Shoghi Effendi du "The station of abstraction and essentiel unity". La traduction française dit très improprement : "... leur condition abstraite, pure, la condition de l'unité incomparable". (26) Ma'idih, tome IV, p. 270. (27) Nous verrons au chapitre V que l'expression peut être également traduite par "monde de la Révélation". (28) Umm al-Kitab: L'expression Livre-Mère est généralement interprétée par les musulmans comme désignant le prototype céleste du Coran. Certaines traditions (hadith) parlent également de "Livre-Origine" (Asl al-Kitab). Il s'agit bien entendu d'une expression coranique très proche de celle de "Tablette préservée", et les commentateurs ont longuement discuté pour savoir si les deux expressions étaient synonymes. Ils ont généralement conclu par des distinctions subtiles que nous ne pouvons ici reproduire. On lit dans la Sourate du tonnerre (Coran, XIII, 34): "Dieu efface ce qu'il veut et établit ce qu'il veut car il détient le Livre-Mère". Le Livre-Mère apparaît donc ici comme lié aux décrets divins. Or, paradoxalement, ce passage loin de parler de l'immuabilité des décrets divins, comme on pourrait s'y attendre, insiste au contraire sur leur possible altération. Un deuxième passage dans la Sourate de la famille d'Iram (Coran, III, 5) dit: "Il est celui qui a fait descendre sur toi le Livre dans lequel se trouve les versets biens établis (muhkamat) du Livre-Mère et d'autres qui suscitent le doute (mutashabihat, c'est-à-dire ambivalent). Ceux qui dans leur coeur ont du penchant pour l'erreur ne suivent que leur volonté et les interprètent. Mais personne ne connait leur interprétation si ce n'est Dieu, et ceux qui se distinguent par le savoir disent: "nous croyons au Livre et tout ce qu'il contient vient de Dieu". Ainsi pensent ceux qui sont dotés d'intelligence". Ce verset établit donc une distinction entre les versets qui sont "bien établis" qui procèdent directement du Livre-Mère, et les versets qui sont sujets à interprétation et suscitent le doute chez les hommes. Le Bab écrit dans son Commentaire de la Sourate de Joseph: "En vérité, nous vous avons révélés ce Livre avec la vérité à notre serviteur ('abd; c'est-à-dire au Bab), et nous avons rendu tous ses versets clairs (muhkamat) et sans verset ambigu (mutashabihat). Et personne ne connait leur interprétation si ce n'est Dieu et ceux que nous avons choisis parmi les serviteurs sincères de Dieu. Par conséquent demande au Dhikr (le souvenir, la mention, i-e. le Bab) leur interprétation". Ce verset suggèrerait que le Livre-Mère contient les lois spirituelles et que les versets ambigus sont les prophéties et les enseignements métaphoriques dont l'interprétation change dans chaque dispensation. Seulement dans la Révélation du Bab il n'y aurait aucun verset ambigu à condition d'en demander au Bab l'interprétation. Baha'u'llah utilise en de multiples occasions l'expression Livre-Mère. Par exemple il parle de Dieu comme "Celui avec qui est le Livre-Mère" XIV, p. 32. Dans un contexte baha'i on pourrait dire que le Livre-Mère représente les aspects immuables de la Révélation telles que les lois spirituelles de la création, alors que les lois sociales et les enseignements prophétiques ou métaphoriques sont sujets à changement et à réinterprétation. (29) Tablette préservée ( al-lawh al-mahfuz). Bien que le mot lawh, habituellement traduit par "tablette", puisse se rattacher à une racine arabe, le mot a presque certainement été emprunté à l'hébreu ou à l'araméen pour ce qui est du sens spécifique que lui donne le Coran (cf. The foreign vocabulary of the Qoran, Baroda, 1938, pp. 253-4). Le terme "lawh" apparaît en plusieurs endroits du Coran avec des sens différents. Il sert à qualifier l'Arche de Noé (LIV, 13), sans doute parce qu'elle était faite de planches. Il semble d'ailleurs qu'en arabe mecquois ou du Hijaz le terme signifiait planche, il se peut même que son pluriel (alwah) ait servi à désigner les deux planchettes de bois qui servaient à serrer les pages d'un livre, d'où l'association que font certains commentateurs des premiers siècles entre ce mot et le Coran. Dans la "Sourate de al-A'raf" le terme désigne les Tables des Lois (alwah; cf. versets 145, 150, 154) que Moïse ramène du Mont Sinaï. L'expression "Tablette préservée" n'apparaît qu'une seule fois dans le Coran dans la Sourate des signes du zodiaque (sura al-buruj) qui se termine par ces paroles: "En vérité ceci est le Coran glorieux sous la forme d'une tablette préservée". (bal huwa qur'anun majidun fi lawhin mahfuzin) On aurait pu comprendre de manière très prosaïque que le Coran est préservé entre deux planches de bois. Mais les commentateurs ont fait remarquer que le mot lawh est ici au singulier et que c'est même la seule fois dans tout le Coran où il apparaît au singulier, ce qui ne saurait être le fruit du hasard. Il est probable qu'ils ont raison et que le mot lawh au singulier se charge d'un sens technique qui doit être recherché dans la langue hébraïque ou araméenne. Certains commentateurs, à vrai dire assez rares, ont proposé de lier l'adjectif "préservé" au mot Coran et suggèrent de lire le verset: "ceci est le Coran glorieux qui est préservé dans une tablette"; il suffit pour cela de changer la vocalisation des voyelles comme suit: bal huwa qur'anun majidun fi lawhin mahfuzun. Mais il faut reconnaître que cette lecture force un peu les habitudes syntaxiques et semble peu naturelle. Le Coran ne donne donc que bien peu d'éclaircissements sur le sens de cette "Tablette préservée" qui allait faire couler beaucoup d'encre. Le terme a certainement une origine biblique car si la racine LWH est attestée dans toutes les langues sémitiques (amharique, yéménite, hébreu, araméen), y compris en arabe, on ne lui connait pas dans cette langue ce sens particulier qui lie la tablette à l'écriture alors que ce sens est attesté en hébreu qui a peut-être subi là une influence babylonienne que des recherches dans la littérature sumérienne et akkadienne pourraient confirmer. A l'origine de cette "tablette" se trouvaient peut-être les tablettes d'argile dont les habitants de la Mésopotamie se servaient pour écrire; d'où l'association de la tablette et du calame, que l'on trouve jusque dans les Ecrits de Baha'u'llah (la plume suprême, al-qalam al-a'la; le qalam arabe n'est que le calamus latin), comme nous disons aujourd'hui "une plume et de l'encre". Le mot est attesté en hébreu dans les textes vétérotestamentaires. Dans le Livre des Jubilés (II,10) il est dit que les lois concernant les rites de purification des accouchées sont écrits sur une table dans le ciel. On retrouve la même affirmation concernant la loi des Tabernacles (Lév. XXII, Jub. XXXII, 5) et la loi du dixième (Lév. XXVII), d'où l'idée que développa le judaïsme que toutes les lois sont transcrites sur une seule "Table" qui se trouve près de Dieu. Dans la littérature pseudépigraphique les Tables célestes sont considérées comme le texte primitif de la révélation. C'est grâce à la connaissance de ces Tables que le prophète Hénoch a la prescience de l'avenir. On voit donc apparaître une seconde idée qui est que ces Tables contiennent tous les décrets divins, et fixent donc le destin des hommes. Ces idées passeront dans l'Islam qui leur donnera une amplification considérable. Ainsi le "Qalam" deviendra le symbole de la toute puissance divine. Les commentateurs du Coran ont suppléé à l'absence de toute information objective concernant la Tablette préservée par une imagination fertile. Ils en font l'instrument d'un ordre providentiel, la preuve du déterminisme de l'univers, le signe de l'élection des fidèles et de la damnation des infidèles, le miroir de la connaissance divine, l'Intelligence première (al-'aql al-awwaliyya), l'âme universelle de l'univers, le premier moteur, la pierre philosophale, le symbole de l'omniscience divine, l'instrument de la substantification de l'univers sensible, la cause première de l'existence des êtres individuels créés par le décret divin, et bien d'autres choses encore. Ghazali a affirmé que la Tablette préservée contient l'ensemble des réalités intelligibles du Malakut (Ihya III, 18; IV, 428-429). Certains mystiques ont assimilé la Tablette préservée au coeur de l'homme. Les controverses sur la nature de la"Tablette préservée" ont eu une grande importance théologique pour déterminer si le Coran avait été créé ou s'il a toujours existé dans la science de Dieu. Cette question a été liée à celle de la liberté de l'homme et de la prédestination en général. (30) Ma'idih, tome I, p. 18. et tome IV, Tablette de l'Examination, (Lawh-i-Istintaq), p. 226. (31) Ma'idih, tome I, p. 18. (32) cf. par exemple, E.E.B., XLII, p. 85. (33) 'Abdu'l-Baha, Memorial of the Faithfuls, p. 9-12. trad. anglaise de Marzieh Gail, Wilmette, 1971, trad. française à partir de l'anglais par l'auteur. (34) ibid. p. 12. (35) Ma'idih, tome IV, pp. 19-20. (36) 'Abdu'l-Baha, Sélections des Ecrits, trad. fr. Pierre Coulon, Bruxelles, 1983, p. 193. (37) trad. de l'auteur. La traduction anglaise de Shoghi Effendi dit: "Every created being however revealed His signs which are but emanations from Him and not His own self. All these signs are reflected and can be seen in the book of existence and the scrolls that depict the shape and pattern of the universe are indeed a most great book". Tablets of Baha'u'llah, p. 60. Pour le texte persan, cf. Majmu'iy-i-Ishraqat, p. 116. Le texte persan ne parle pas "d'émanation" mais de manifestation: "dar kull ayyat-i-u zahir" c'est-à-dire "dans toutes choses ses attributs se manifestent". Par ailleurs, l'anglais "the shape and pattern" qui se rapporte au monde ne traduit qu'un seul mot persan qui est naqsh qui signifie plan, structure, et peut effectivement être rendu par l'anglais "pattern" bien qu'il ait un sens plus riche et plus étendu. (38) On songe particulièrement à l'exemple de Thomas Breakwell, un des disciples d'Abdu'l-Baha devenu baha'i à Paris en 1902, mort à l'âge de vingt-neuf ans, quelques mois seulement après avoir embrassé la Foi et rencontré le Maître 'Abdu'l-Baha. Cf. La vie de Thomas Breakwell, Rajwantee Lakshman-Lepain, Paris, 1992. Dans une Tablette qu'il révéla à l'occasion de son décès 'Abdu'l-Baha dit qu'il a quitté le monde de Nasut pour s'élever jusqu'au monde du Malakut, puis ayant reçu la confirmation de la grâce du monde de Lahut, il est parvenu au seuil du Seigneur du Jabarut. (Muntakhibati az Makatib-i-Hazrat-i-'Abdu'l-Baha, vol. I, extrait n° 158.) La traduction française du texte arabe dit simplement: "Tu as quitté ce monde terrestre (nasut) pour atteindre le Royaume (Malakut), tu es parvenu à la grâce du monde invisible (Lahut) et tu t'es offert au seuil de son Seigneur (Rabb)." Cette traduction paraît fautive a plus d'un égard. Bi-faid doit être traduit par "par la grâce" et non "à la grâce". Wafada signifiant "atteindre", "voyager", "visiter", a probablement été confondu avec fada signifiant "se sacrifier", puisqu'il est traduit par "s'offrir". Quant au mot Jabarut, il a été tout simplement omis dans la traduction. (Sélection des Écrits d'Abdu'l-Baha, Bruxelles, 1983, p. 186.) Il faut reconnaître que cette terminologie des mondes divins est tout simplement impossible à traduire. Une fois que que nous avons restauré les termes d'origine et que nous sommes parvenus à la compréhension, même infime, de la signification de chacun de ces mondes, la tablette s'éclaire d'un sens entièrement nouveau qu'aucune traduction française ne saurait rendre. Nous comprenons que Thomas Breakwell est parvenu à la plus haute station qu'il est permis à un homme d'atteindre: le seuil du Jabarut, là où l'on peut contempler la Manifestation divine, non dans son aspect malakutien, mais dans toute la spendeur de son rang de Seigneur du Jabarut. (39) cf. 'Abdu'l-Baha, Les Leçons de Saint Jean d'Acre, 5e éd. corrigée, 1982, Paris, Ch. LXVI, p. 244-245. (40) cf. par exemple Extrait des Ecrits d'Abdu'l-Baha n°156 p. 184. (41) Makatib, tome I, pp. 337-342. (42) ibid. p. 339. (43) ibid. p. 339. (44) ibid. p. 338. (45) ibid. pp. 340-341; (46) ibid. p. 341. Le texte persan dit "'Alam-i-vujud 'alam-i-vahid ast." (47) cf. Adib Taherzadeh, The Revelation of Baha'u'llah, Oxford, 1992, p. 8. (48) cf par exemple René Roque, L'Univers Dionysien, Structure et hiérarchie des mondes selon le Pseudo -Denys, Paris, 1983. (49) cf. Ma'idiy-i-Asimani, tome VII, pp. 119-125. (50) ibid. p. 125. (51) Ce goût s'est préservé jusqu'à aujourd'hui si on juge par diverses parutions récentes. (52) Lc. 20. 34-36. (53) op. cit. p.20. (54) En arabe la-tuhsa; ibid p. 121. (55) C'est nous qui interprétons ici. (56) ibid. p. 121. (57) E.E.B. n°LXXXII, p. 150. (58) ibid. p. 150. (59) Ma'idih, p. 122.